En Tunisie, il semblerait que pratiquer des rapports sexuels avec un inconnu et livrer son corps à l'assouvissement de ses désirs charnels en contre partie d'une rémunération soit considéré comme un acte innommable tant il avilit les femmes et les rabaisse au rôle d'objet. Tout du moins sont-ce là une partie des arguments des hordes de braves citoyens qui ont attaqué les maisons closes dans plusieurs villes de Tunisie ainsi que des non moins braves citoyens qui légitiment et soutiennent ces pieuses barbaries.
Étant données les charges morales et religieuses qui pèsent contre cette infamie nous sommes en droit de nous demander si, après tout ce temps, et une fois essouchées du terreau de la dépravation, alors qu'elles avaient finalement réussi à se fondre dans le paysage, ces prostituées pourraient un jour prendre racine ailleurs. D'aucuns diront qu'en veillant au grain on épurera la société de ces parias mais si on y regarde bien on verra qu'en Tunisie la prostitution aura toujours la peau dure, si on y regarde mieux on constatera qu'elle en est l'un des piliers les plus solides. Il serait en effet erroné de circonscrire la prostitution aux seules maisons closes tant cette pratique réunit de profils divers bien loin de correspondre à l'image archétypale de la prostituée qui nourrit l'imaginaire collectif de la société.
En réalité, la Tunisie pullule de ces femmes vénales aux multiples visages pour qui les pratiques sexuelles sont inextricablement liées à des transactions financières. Il y a ainsi la "vierge effarouchée" qui ne cédera pas une parcelle de peau de son corps tant qu'il n'y a pas de garantie de paiement. Il y a aussi la "mi-pute", celle qui consent à quelques attouchements pour vous tenir en haleine mais qui ne présentera son hymen en offrande qu'à la condition expresse que l'acquittement soit honoré. Il y encore l' "expérimentée" celle qui s'accommodera de rétributions ponctuelles, mais qui réservera sa virginité fraîchement rapiécée au parti le plus avantageux. Aussi variées soient-elles, toutes ces figures se rejoignent sur la pratique. Elles sont âpres au grain et au diable les sentiments! Elles ne se donneront jamais par amour, ou juste pour le plaisir, mais écarteront volontiers le pilon à quiconque dès lors qu'il signe, qu'il soit un parfait inconnu, dans le cas d'une passe arrangée, ou une fréquentation de longue date qui aura plus d'une fois démontré toute l'étendue de ses sentiments les plus nobles. La baise est une pratique coûteuse et il n'y a pas de temps à perdre avec le sentimentalisme benêt.
Cependant messieurs pour un bon prix vous bénéficierez tout de même de quelques extras. Elles sauront parfaitement flatter les egos les plus chatouilleux en mettant un point d'honneur à afficher leur ignorance en la matière pour donner la pleine illusion à l’acquéreur qu'il consomme un produit frais de première main. Il est vrai que par la suite elles se feront aussi une fierté d'exhiber les moindres détails de leur intimité à qui veut l'entendre, famille, amis et mêmes toute oreille étrangère traînant à proximité. Mais après tout le paiement a été effectué, il y a eu des témoins lors de la transaction, elles peuvent au moins s'accorder ce petit plaisir et romancer cette rémunération durement acquise. Elles sauront aussi cajoler cet Œdipe intérieur, que votre vénérable mère se sera échinée tout le long de votre éducation à enraciner en vous, et vous ne pourrez rêver meilleur substitut. Surenchère oblige, vous vous retrouvez encore plus assisté qu'un nourrisson si bien que le jour où vous vous réveillerez en vieillard grabataire, vous ne le remarquerez qu'à peine.
Elles engendreront même une lignée de dignes héritières ou de consommateurs altérés qui calqueront leur vie sur le modèle parental... et cætera.
Oui la prostitution constitue bien l'un des plus solides piliers de notre société.