Magazine Journal intime

Auguste à Angkor, août 1926

Publié le 24 juillet 2012 par Christinedb

Angkor(Dans l'ombre de la porte d'enceinte d'Angkor Vat on aperçoit au bout de la longue allée dallée le temple proprement dit. (photo d’Auguste)

..." Je reviens d’Angkor, j’y ai passé dix jours tout à faits intéressants, j’avais mon équipe de mouleurs à qui j’ai donné du travail ce qui m’a fait me promener dans tous les temples nouvellement dégagés? Il y en a de splendides, l’un le Neah Pon est très curieux, il y a un petit temple qui est tout entier pris dans les racines d’un énorme banian et il est au milieu d’un bassin, autour il y a quatre autres bassins qui communiquent avec le bassin central par de s portiques avec d’énormes gargouilles. Le temple est dédié à Lokeshvara, le guérisseur et ça devait être le lourdes de l’époque. C’est un endroit sauvage avec de s arbres monstrueux, plein de bandes de singes qui gambadent dans les arbres. Les cerfs y viennent boire et il y a des traces de tigres et de panthères partout. On ne peut y aller le soir, la porte d’entrée est couverte par un chèvrefeuille qui n’est qu’un bouquet de fleurs et qui sent encore plus que celui de chez nous, d’ailleurs ici toute la végétation est monstrueuse et désordonnée, les lianes font périr des arbres immenses en les étouffant ou en serrant leur tronc alors ils s’écroulent et ça fait un fouillis inextricable. Les douves d’Angkor étaient couvertes de lotus et de nénuphars; j’ai été revoir le bayon (?° avec ses 45 tours à quatre visages de trois mètres de haut qui vous regardent avec l’air de se moquer du monde. On se sent regardé de tous les cotés. C’est un temple étonnant, un véritable labyrinthe, voilà plus de dix fois que j’y vais et je ne suis pas sûr d’avoir encore tout parcouru. Il y a des galeries qui se recoupent et s’enchevêtrent, on tourne pendant un quart d’heure on , se retrouve à l’endroit d’où on est parti et il faut faire attention car elles sont assez sombres et dans l’une d’elles il y a un puits qui s’ouvre au ras du sol, ce puits je ne l’ai encore vu que deux fois et je ne pourrais pas y aller tout droit en arrivant, je sais qu’il est dans la portion nord est du temple mais où? Ce qui augmente le gâchis c’est qu’il a été construit en plusieurs fois, alors il y a des terrasses qui viennent buter contre les frontons de portes condamnées et on arrive dans des galeries qui ne conduisent nulle part, c’est un endroit mystérieux et un peu terrible, j’ai eu souvent l’impression désagréable que je ne pourrai pas en sortir. J’ai vu des touristes en sortir complètement affolés avec l’air de fuir, on y a une impression d’horreur et de quelque chose de sinistre et puis tout le temps ces têtes qui vous regardent et qui sont toutes pareilles. Dans les galeries sombres, il y a des chauves souris vampires énormes qui sont dérangées et vous frôlent la figure avec leurs grandes ailes, ça n’est pas agréable du tout, mais c’est un temple très intéressant. Il a d’abord été dédié à Lkashvara donc au culte bouddhique puis après on l’a dédié à Civa, le dieu de la vie et de la mort et il est vraisemblable qu’il y a eu des sacrifices horribles là dedans. Ca ne contribue pas à vous rassurer à cause des idées qu’on se fait quand on y est. Le Bayon est beaucoup plus ruiné qu’Angkor Vat, il est au centre de la ville d’Angkor Thom et derrière il y avait le palais royal et le grand forum dominé par la terrasse des éléphants dont le socle est décoré d’éléphants grandeur naturelle. Je suis aussi allé voir les Khleangs, le prah Pithu et le Phiméankas, au palais royal on commence à voir le plan d’ensemble et on a mis à jour des piscines parementées de sculptures superbes, elles sont dans les cours extérieurs et il est impossible d’y aller sans passer par le palais. Ce sont sûrement les habitations et les piscines particulières des princesses, des reines et des danseuses sacrées. Ca devait être superbe, tout le tour de s bassins est en gradins avec des parties droites où sont des figures d’Apsaras (?) qui tiennent des guirlandes de fleurs. On a trouvé de grands bassins de cuivre et le fond est plein de matières à moitié calcinées, il y a dû y avoir une catastrophe, on n’en sait rien, c’est irritant de ne pas pouvoir percer le mystère de la fin de l’empire Khmer. C’était du IX au XIIIe l’empire d’Asie le plus important après la grande Chine, il comprenait le sud Annam, la Cochinchine actuelle, le Cambodge, presque tout le Laos, le Siam et la moitié de la presqu'île Malaise de Malacca. Il y a là encore des tribus qui parlent le cambodgien et tout s’est disloqué, on ne sait pas comment, on s’en doute mais ce n’est pas sûr. On le saura peut-être un jour au moment ou on ne cherchera plus. C’est toujours comme ça que les choses se passent. ...... C’est parfois ennuyeux d’être loin. C’est le revers de la médaille mais on ne peut pas tout avoir. Ca devient de jour en jour plus accessible et nous le voyons par le nombre toujours croissant de jeunes gens qui arrivent ici. Beaucoup de Centrale , polytechnique et de l’institut agronomique. Ils ont de belles situations, surtout les derniers car en ce moment c’est une ruée de capitaux sur les terres rouges du Cambodge pour planter des hévéas. Excellent placement, ça met sept ans à produire mais la deuxième année paye tout. et pendant 25 ans ça rapporte gros.
A bientôt de tes nouvelles et mes bons souhaits."

Auguste


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