Je me présente.
Je m'appelle Almira, je n'aurais jamais 30 ans, et je vis en province.
Oui, en province. En Provence même. Je vis au pays des cigales et du pastis. Je vis au pays du "putain" et de "l'encatané". Je vis au pays des platanes qui surplombent les terrasses de café et de l'apéro aux olives. Ca a toujours été le cas. Depuis ma naissance. Et j'espère que ça durera encore quelque temps.
Vivre dans ma région n'est pas chose facile. C'est presque devenu une conviction personnelle, un acte de militantisme. Pourquoi? Parce que chez moi, il n'y a pas de travail. Je le sais, j'ai cherché. Il devait en rester un qui traînait, alors je l'ai pris. C'est pas forcément celui qui me va le mieux, mais je sais que je peux m'estimer heureuse. Le travail, chez moi, ça se résume à des emplois saisonniers ou des métiers de bouche. Tu peux éventuellement tenter le bâtiment, surtout si tu sais comment t'y prendre pour retaper une vielle bâtisse. Tu peux aussi te lancer dans une carrière d'ouvrier agricole si tu veux. Pour le reste... c'est plus compliqué. Pourtant, le métier que je veux exercer, il se trouve au beau milieu de ce reste, frétillant comme un goujon au milieu des métiers de la com et du culturel. Pourtant, le métier que je veux exercer, je peux l'exercer de n'importe ou. Du moment que j'ai les compétences (je les ai), le wifi (ça aussi je l'ai), et un moyen simple et efficace de monter à la capitale (je peux être à Paris en quatre heures chrono, moyennant la vente d'un rein et d'une partie de mon foie). La décentralisation. J'en ai les côtes douloureuses tellement je ris.
Chez moi, tous les mois de juillet, se déroule deux festivals de théâtre simultanément. Ca fait un monde fou dans mes petites rues médiévales où le reste de l'année, il n'y a personne pour voir que j'ai coincé mon talon entre deux pavés. Et en même temps que ces milliers d'affiches de plus en plus laides au fil des ans, c'est une cohorte de gens du spectacle et d'amateurs de théâtre qui viennent s'installer chez moi. Attention, ne vous méprenez pas. J'adore le Festival. J'adore voir tous ses gens qui d'habitude ne mettent jamais leurs pieds dans un lieu de culture enchaîner les pièces. J'adore me peler les miches dans la cour d'honneur un soir de grand mistral. J'adore me faire apostropher dans la rue par un type qui veut me parler de sa version de tel ou tel texte. J'adore rire des jeunes tracteurs qui, pour me vendre leur spectacle me disent "c'est bien, ça parle de l'amour et de la mort".
Parmi tous ces gens de spectacle, beaucoup viennent de Paris. C'est inévitable, puisqu'il semblerait qu'en dehors de la capitale, il soit bien plus difficile de vivre de la culture. Il m'arrive même de penser parfois (surtout dans le IN) que le festival d'Avignon s'est contenté de déplacer un morceau de la capitale pour le mettre dans la cour du Lycée St Joseph. Ce n'est pas une critique, juste un constat, qui à mon avis, piquerait un peu les yeux de Jean Vilar.
un porte-clefs, c'est capital.
L'autre soir, j'ai rencontré l'un de ces gens de spectacle. Un ingénieur du son. Les bras m'en sont tombés.
Ingénieur du son: Ah là là, que j'en ai marre, ce que j'ai hâte de rentrer!
Almira: Ah ben oui, je comprends, le festival, c'est crevant quand même, non?
IS: Ah, non, ça ça va encore, j'ai l'habitude, ça fait partie du job!
A: Alors pourquoi t'en a marre?
IS: C'est cette région... Regarde moi ça... que des ploucs. Un truc de dingue.
A: Pardon?
IS: Non mais faut être réaliste, mis à part le festival, il y a rien ici. Rien, rien, rien. Que des ploucs. Ils font quoi les gens ici d'Août à Juin? Ils hibernent? Ha ha ha! Je les vois d'ici, aller s'acheter de beaux habits du dimanche pour aller au spectacle, la seule sortie de l'année. Et encore, pour aller voir Ma Femme me prend pour un sextoy. Tu vois de quel spectacle je parle? Les types qui tractent déguisés en banane? Je payerai cher pour voir un mec d'ici faire la queue à la cour d'honneur. Et les filles du coin. Faut les voir! Vulgaires et incultes. Par contre, pour niquer, c'est un bonheur. Tu leur dit que tu viens de Paris, elles ont déjà la culotte aux genoux. Ha ha ha! Ca, je m'en suis tapé de l'avignonnaise!
A: Tu rigoles là j'espère?
IS: Ben non je rigole pas. On voit bien que tu connais pas ici toi. Moi ça fait quelques festivals que je fais, je commence à bien les connaître les gens du cru. Putain, même les taxis c'est des connards. L'autre jour, j'ai voulu en prendre un, et le con, il me dit "Wo putaingue, moi, j'en fait pas des courseuh pour moinsse de dix euros, hé!"
A (ramassant sa mâchoire inférieure gisant sur le sol): C'est vrai qu'à Paris, les taxis sont tellement réputés pour être serviables et gentils.
IS: C'est vrai, mais merde quoi! Je venais d'arriver, j'avais mes valises! Quel connard, je te jure!
A: Certes, mais son attitude est inhérente à sa condition de chauffeur de taxi plus qu'à sa condition de provençal, tu crois pas?
IS: Non. Tous les gens d'ici sont comme ça...
A: T'en a pas marre de ce parisianisme de base? Tu sais Paris, c'est pas le centre du monde, il se passe des choses ailleurs!
IS: C'est pas du parisianisme! C'est des faits! Bref, je m'en fiche, je repars demain. Bon et sinon, toi tu vis ou?
A: Vers là bas, à 200m d'ici.
IS: ... Oh merde. Tu vis ici? Mais qu'est ce qui t'a pris de venir t'enterrer dans ce coin paumé là! Ca va pas là tête? Paris c'est tellement mieux. A paris, on peut aller au musée, au théâtre, au cinéma...
A: Tu sais, ici, on a deux très belles salles d'art et essai, une superbe collection d'art contemporain, et une offre en terme de théâtre super intéressante. On a aussi des salles de concert. Et ah oui, j'oubliais: le loyer de ma maison est égal au loyer de ton garage.
IS: Oh, genre, l'autre... N'empêche, toute l'année, tu te coltines que les gros beaufs du coin. Mais d'où tu viens pour t'enterrer ici? C'est dingue ça quand même, une fille comme toi!
A: Je suis née là. Comme mon père. Comme ma grand mère. Comme mes arrières grand parents, et comme leurs parents. Et je sais lire, j'ai fait des études, je vais au théâtre, et tu vois, ma culotte est toujours bien rangée dans mon short. Pourtant, j'ai bien compris que tu étais parisien.
IS (devenu aussi blanc soudainement qu'un parisien d'ayant pas vu le soleil depuis le mois de mars): ... Oui, mais toi... toi c'est pas pareil. Puis tu sais, je rigolais, hein!
Tu rigolais, bien sûr. Cher ingénieur du son, tu mériterais que je te badigeonne de miel de lavande et que je t'abandonne en pleine cagne, au son des cigales, livré en pâture aux abeilles.