Avant la parution de Prince d'orchestre.
Metin Arditi connaîtla musique. Il y a de l’homme-orchestre chez ce brasseur d’affaires qui se paie le luxe d’enseigner le génie atomique à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, de présider l’Orchestre de la Suisse Romande et d’exercer une importante activité de mécène tout en composant des romans de plus en plus remarquables.
D’aucuns, ne supportant pas cet excès de qualités qu’une fortune considérable rend encore plus suspect, ont répandu le bruit que l’intéressé finançait un atelier de nègres talentueux, mais je n’y crois pas, et de moins en moins, tant s’affirment, et de plus en plus, un regard sur le monde et surtout un ton personnels.
Les premiers ouvrages de Metin Arditi, qu’on pourrait dire de reconnaissance gracieuse à Jean de La Fontaine, Nietzsche ou Van Gogh, étaient d’un écrivant élégant et cultivé ; mais ses derniers romans, achoppant aux arcanes de l’art (Le Turquetto) ou de la musique (Prince d’orchestre), sont d’un écrivain pénétrant et ressaisissant lui-même les secrets de la création non sans accéder à la dimension supérieure de l’émotion.
Nota Bene : Du récit en ligne claire à la polyphonie romanesque, le talent de Metin Arditi s’est largement épanoui dans ses deux derniers romans, Le Turquetto (Actes Sud, 2011) et Prince d’orchestre (Actes Sud, 2012). Déjà très maîtrisé dans le jeu de la fiction et de la vérité documentaire d’époque – notamment à propos des ateliers vénitiens -, Le Turquetto est une fresque chatoyante traversée par un génial rival du Titien évacué de l’histoire pour motifs essentiellement sociaux et religieux. Or le poids de la société, autant que les pièges d’une ambition personnelle dévorante, se retrouvent dans Prince d’orchestre. Portrait d’un chef parvenu au top mondial, que son orgueil cassant pousse à entrer en conflit avec les musiciens qu’il dirige, ce roman nourri de la grande connaissance de l’auteur en matière de musique et de milieu musical, déploie également une réflexion incarnée sur les jeux du hasard et de la destinée. Dans un récit à multiples points de vue qui permet à l’auteur de constituer une frise de personnages finement détaillé et d’un protagoniste plus travaillé comme en ronde-bosse, l’ouvrage, virulent dans son évocation du Système, touche également, en fin de course vertigineuse, à l’émotion la plus vive.
Metin Arditi. Prince d'orchestre. Actes Sud, 362p. À paraître le 20 août 2012.