Je la vois dans la cuisine préparant la paella ou la "merlu safrita" (phonétiquement!), faisant la confiture d'abricots ou de fraises tout en chantonnant sur des airs de valses de Strauss ou de ballets de Tchaikovsky.
Je la vois parler avec Mamita en préparant le dîner des enfants ou redevenir petite fille lorsqu'elle retrouvait son père.
Je la vois devant sa machine à coudre réparant nos accrocs ou me faisant une robe.
Je la vois, arrivant dans sa 2CV, pour venir me chercher à l'école ou aux cours de danse.
Je la vois s'affairer pour une communion ou un anniversaire qu'elle organisait à la maison... nous nous retrouvions alors à plus de 30 autour de la table: les grands-parents , les grands-oncles et grandes-tantes, cousins, cousines, oncles et tantes... elle n'oubliait personne et ils étaient tous là. Elle mettait les belles nappes brodées, sortait l'argenterie et faisait son fameux jambon en croute avec sauce au Madère!
Je me vois faire les lits avec elle dans le chalet que nous louions en suisse pendant que les garçons déchargeaient la voiture.
Je l'entends m'appeler pour tendre les draps lorsqu'elle sortait le linge de la machine à laver ou pour me redire une fois de plus de ranger ma chambre...
Je la vois soignant Laurent qui s'était blessé ou demander à Bernard et à Denis de ranger leurs petites voitures...
Je la vois complice et tendre avec son frère François.
Je la vois songeuse jouant avec son collier de perles.
Je l'entends parler avec plaisir en espagnol avec le père espagnol avec Carmen ou avec ses parents (pour que les enfants ne comprennent pas...)
Je la vois se démener pour trouver un travail ou un logement aux réfugiés cambodgiens et vietnamiens dont elle s'occupait.
Je l'entends le soir, discutant pendant des heures avec mes trois frères et moi autour de la table de la cuisine alors que Papa était déjà couché...
Je la vois assise au bord de mon lit, m'apportant une tisane ou un lait chaud lorsque j'étais malade...
Je la vois fière et émue aux mariages des mes deux frères ainés...
Je la vois s'inquiéter pour nous alors qu'elle était sur son lit d'hopital, malade d'un cancer...
Je la vois venir dans ma chambre, la dernière fois, c'était un matin de septembre 1979, je n'avais pas encore repris les cours, elle allait une fois de plus à l'hopital, mais elle était souriante et confiante... Je veux garder ce sourire et oublier ses derniers instants... J'avais 22 ans
C'était Maman, je l'aimais.