James Whale, 1935 (États-Unis)
UNE SOMBRE OCCUPATION
« Tous ont commencé leur histoire de fantôme sauf moi », écrit le docteur John William Polidori dans son journal en juin 1816. L’histoire est connue, Polidori, Lord Byron, Percy Shelley et sa femme Mary sont en villégiature sur les bords du lac Léman en Suisse. Pour se distraire, ces quatre aristocrates lettrés se lancent un défi, écrire chacun un « roman terrifiant ». De tous les textes produits, Frankenstein de Mary Shelley, qui n’avait pas encore vingt ans, est le plus abouti. Lorsqu’il donne une suite au Frankenstein qu’il avait lui-même réalisé en 1931, James Whale utilise l’idée du jeu d’écriture entre ces auteurs pour commencer son film (c’est aussi le point de départ de Gothic de Ken Russel, 1986). Une nuit d’orage, un inquiétant château, un salon bourgeois : Mary (l’actrice Elsa Lanchester) peut reprendre le récit de Frankenstein, là où elle l’avait laissé, à l’incendie du moulin…
DU GOTHIQUE AU CINÉMA
Les arcades moyenâgeuses et les torches qui y sont accrochées sont propices à l’étalement des ombres. Le cimetière dans la brume est le meilleur des refuges pour les monstres. Les cheiroptères sont suspendus à des fils transparents et maladroitement agités… Le cinéma gothique est tout déployé. Ce sont les studios américains Universal Pictures qui, directement influencés par le cinéma expressionniste allemand, lancent une mode des films de monstres après les premiers essais commercialement réussis du Bossu de Notre Dame de Wallace Worsley (1923) et du Fantôme de l’opéra de Rupert Julian (1925). En 1931, Dracula de Tod Browning marque l’entrée du cinéma fantastique dans l’ère du parlant. Suivent Frankenstein de Whale la même année, puis, l’année suivante, La momie de Karl Freund, Double assassinat dans la rue Morgue de Robert Florey…
SHE’S ALIVE ! ALIVE !
Le thème développé dans La fiancée de Frankenstein est celui de la solitude du monstre. La créature incomprise est embarrassée par sa différence (détournement de la contemplation de Narcisse : au-dessus de la rivière, un regard sur le reflet de son visage cicatrisé le met en colère). Ainsi, le savant marginalisé Petrorius pousse le baron Frankenstein à créer pour son monstre, une femme, une compagne, elle aussi assemblée de morceaux de cadavres, elle aussi ressuscitée. Le retour à la vie de la créature féminine nous fait penser au robot Maria dans Metropolis (Fritz Lang, 1925) ou, en littérature, à l’Eve future de Villiers de Lisle-Adam. La fiancée est jouée par Elsa Lanchester qui joue aussi Mary Shelley et là toutes les confusions sont possibles : entre l’écrivain et son personnage, ou par écho, entre Frankenstein, Pretorius et leurs créatures. L’incompréhension à laquelle se heurtent les êtres créés et les corps réanimés n’est-elle alors pas la même que celle rencontrée par une femme écrivain au début du XIXe siècle, ou par des savants exclus du cercle scientifique en raison de leur prétention à égaler Dieu ? La fin du film rappelle son début : l’écroulement de la haute tour de pierre abritant le laboratoire (nouvelle Babel ?) nous ramène au moulin transformé en brasier. Tenter de percer les secrets de la nature n’entraîne que destruction et lorsque la science s’y applique, elle peut être vouée qu’à l’échec.
HIGH VOLTAGE
La fiancée de Frankenstein, qui exploite des épisodes du roman délaissé pour Frankenstein, est un film communément reconnu comme supérieur au premier volet. James Whale et son interprète Boris Karloff ancrent un peu plus l’histoire du monstre dans le mythe sans toutefois se priver d’adopter parfois un ton plus léger : la scène des ridicules homoncules, bien sûr la coiffure très électrique de la fiancée offerte au monstre. Cet excellent « horror movie » a contribué à l’élaboration du genre et fait aujourd’hui partie des classiques.