Magazine Journal intime

Monsieur C. (2)

Publié le 24 mars 2008 par Mirabelle
Mon cher Victor, retrouvailles.jpgTe souviens-tu d'une conversation où j'avais parlé de mon prof de français de 4ème ? Oui, très bien ! Monsieur C., c'est ça ! Tu devais l'appeler pour le revoir ! Où ça en est, cette affaire ? Eh bien figure-toi qu'après des semaines, voire des mois d'hésitations, j'ai fini par oser composer son numéro de téléphone, il y a de cela un mois. Alors, pour quand sont programmées ces retrouvailles ? Elles sont faites ! C'était mercredi dernier ! Aaaah ! Vue ta mine réjouie, j'imagine que cela s'est bien passé !

Bon. Ca commençait mal, pourtant. Je me suis perdue en ville (oui, oui, tu as bien entendu, et ne me fais pas ces yeux là !) et je suis arrivée à destination avec vingt minutes de retard ! Ah la la... Mirabelle... Ca ne fait pas sérieux, ça ! Heureusement, je crois que le petit ballotin de chocolats que je lui ai offert, à lui et à sa charmante épouse, ont rattrapé le coup ! Alors ? Tes impressions ? Parce que je m'en fiche, moi, de ces chocolats, même si nous sommes en période de Pâques ! Il a dû vieillir... Et lui, t'a-t-il trouvée changée ?
Il m'attendait à la sortie de l'ascenseur. Il n'a pas changé d'un poil ! Vraiment ! C'est toujours le même petit monsieur, avec sa barbichette blanche et ses dents de lapin, son air bienveillant et son rire chevalin ! Il m'a serré la main, je me sentais toute différente, par rapport à l'adolescente renfermée que j'étais au collège, et en même temps, j'avais en moi le même respect pour lui, timide et silencieux, la même admiration émerveillée. Etrange mélange... Il m'a fait entrer chez lui, après une suite interminable de couloirs (un vrai labyrinthe ! Tu m'étonnes qu'il soit venu m'attendre à la sortie de l'ascenseur !), un appartement assez grand et fleurant bon la décoration d'antan. La décoration d'antan ? Avec des poteries fixées au mur, de la vieille porcelaine, de magnifiques portraits de "Mariella" (j'ignorais encore qu'il s'agissait de sa femme !) faits au fusain. De l'ensemble se dégageait une atmosphère de "vieux couple cultivé" qui me plaisait bien. Je me suis assise dans un profond fauteuil en cuir, me suis vue servir un thé brûlant et proposé des chocolats (parmi ceux que j'avais apporté bien sûr !).
Et puis une dame est arrivée. Un accent italien absolument charmant. Un sourire très accueillant, et tout de suite, elle s'exclame : "On vous connaît enfin, Mirabelle ! Vous savez que vos dissertations passaient dans toutes les mains de la famille ! Ca commençait avec moi, puis mon mari prenait le relais, mais la plus intéressée, c'était notre fille Claire, qui voulait lire vos copies avant tout le monde !". Comme c'est mignon ! Tu as dû te sentir bien touchée ! J'étais, comme tu peux l'imaginer, rouge comme une pivoine. Et Monsieur C. qui disait : "Ce qui était remarquable, surtout, c'est ton sens des histoires... Tu écris toujours ?"
Il a fallu que j'explique. Non, je n'ai plus le temps. Oui, ça me manque. Non, mon rêve d'être écrivain ne m'a jamais quitté. C'est vrai que l'écriture demande beaucoup de temps à lui consacrer, ça ne se fait pas comme ça... Puis une sorte d'interrogatoire, au cours duquel je me suis sentie un peu "jugée" : et qu'avais-je fait après la 3ème ? Ah, tiens, je n'avais pas été au lycée Victor Hugo avec les autres ? Je ne voulais donc plus continuer la classe européenne ? Il lui semblait pourtant avoir entendu dire que j'étais  très douée dans les langues. Ah, tu voulais faire de l'espagnol. Et il n'y en avait pas à Victor Hugo ? Tu aurais pu en faire par correspondance. C'est dommage mais enfin... Et puis ensuite, une discussion sur
la Prépa, détails de mes notes au concours de l'ENS (il n'a pas été déçu du voyage, Monsieur C. !), puis mon point de vue sur la FAC (idem), puis un petit descriptif de la formation d'instit'... Et je m'enfonçais, je m'enfonçais dans mon siège sous le feu des questions !
Et puis à un moment, je ne sais pas bien quand, j'ai complètement oublié l'adolescente timorée que j'étais pour lui (c'était, au fond, celle qu'il connaissait), j'ai oublié aussi qu'il s'agissait du prof de français que j'idôlatrais à quatorze ans. Je me suis juste dit que c'était une conversation amicale entre deux personnes. Je me suis détendue. Je me suis enflammée en parlant de mon métier (que veux-tu, on ne se refait pas !), j'ai ri, me suis reservi du thé, l'ai interrogé sur le collège dans lequel il exerce toujours...

- Tu as beaucoup changé, tout de même... J'avais le souvenir d'une jeune fille très timide. Autant tu étais très à l'aise à l'écrit, brillante même, autant quand je t'interrogeais à l'oral, il me semblait devoir lutter pour t'arracher deux mots. C'était très étrange... Tu t'exprimes beaucoup mieux aujourd'hui !
- Encore heureux... C'était tout de même il y a dix ans !
- Oui, c'est vrai, c'est vrai...

Je suis restée deux heures à papoter ainsi. Il m'a prêté un livre d'expression écrite. Vous allez donc vous revoir ! C'est bien le tour que cela prend en tous cas. Il m'a aidée à remettre mon manteau, sa femme est venue me dire au revoir :
- Il faudra revenir, Mirabelle ! Revenez manger un soir avec Fannette, cela nous fera plaisir !
J'ai dit combien cela me faisait plaisir de l'avoir revu. Moi aussi, m'a-t-il dit, moi aussi. Il a ajouté : "Et puis surtout, continue à aimer ce que tu fais, c'est le plus important.". Il m'a raccompagnée jusqu'à l'ascenseur, et tandis que la porte se refermait : "Et merci pour le chocolat !".
 Je suis rentrée le coeur léger. J'avais envie d'écrire, soudain. J'avais l'impression de m'être retrouvée.

Retour à La Une de Logo Paperblog