Il était une fois une petite fille qui voulait être écrivain...

Publié le 06 août 2012 par Mirabelle

Le temps passe. Les années passent. Parfois, on se perd de vue.

Il y a une vingtaine d'années j'étais une petite fille qui écrivait des histoires dans un gros cahier à carreaux, les illustrait, préparait des couvertures, des quatrièmes de couverture, inscrivait des dédicaces, de celles qui me fascinaient dans les livres de ma mère : "A mon père", "A ma meilleure amie". J'écrivais des suites, Tome 1, Tome 2, Tome 3, et mon père me filmait à l'ouvrage, moi studieusement installée à écrire à mon bureau, la caméra zoomait sur mes doigts, ma moue d'élève modèle. Et toute la fierté paternelle derrière tout ça... Mon institutrice de CE1, qui avait félicité mes parents sur l'emploi tout à fait "naturel" que je faisais du passé simple sans l'avoir encore étudié, avait un jour annoncé à ma classe, à propos d'un de nos travaux de rédaction : "Je lis le travail de Mirabelle, elle n'a pas respecté la consigne mais son histoire est belle, alors je vous la lis tout de même". Elève en CE2, ma maîtresse s'était étonnée de me voir personnifier l'automne sous le nom de "Totonne" : elle avait au premier abord cru à une faute d'orthographe, et avait fini par comprendre, avec mes explications, qu'il s'agissait du prénom de mon personnage, une créature merveilleuse pareille au vent, faisant voyager un petit garçon sur son dos de feuilles mortes... Je vois encore ses yeux ronds comme des soucoupes quand, bien sûre de moi, je lui soutenais mordicus que oui oui maîtresse, c'est bien son nom, je l'ai fait exprès. En CM1, j'en avais beaucoup voulu à mon maître de n'avoir pas compris le style familier que j'employais dans mes dialogues, je me souviens n'avoir pas utilisé la négation, volontairement, pour faire parler l'une des petites filles de mes histoires, car enfin soyons clairs, à l'oral on emploie très mal, très peu, la structure "ne...pas"  et j'étais outrée de constater que ce professeur ignorait complètement mes choix d'écriture,  tout enfermé qu'il était dans ses critères de correction.  Jusqu'en troisième à peu près, mes professeurs de français lisaient mes rédactions à voix haute, j'étais détestée de tous, "la chouchoute" comme ils disaient, et en entendant mes textes lus à voix haute par un adulte, je me cachais dans mon casier, rougissant de honte autant que de fierté.

Le temps passe. Les années passent. Parfois on se perd de vue.

A six, seize, vingt ans, je croyais dur comme fer qu'un jour je serai écrivain. Aujourd'hui, j'en ai vingt-huit... Qu'est devenue l'enfant pleine de rêves, l'adolescente admirative des Editions de Minuit ? L'amour de l'écriture, des mots, ne m'a certes pas quitté, le rêve non plus, mais il est désormais tapi dans l'ombre, et non plus éclatant, écarlate, en plein soleil, il n'a plus l'insouciance de la jeunesse, plus cette inconscience, cette confiance en l'avenir, parce qu'on a le temps, la vie devant soi. Le rêve est toujours là mais je me suis laissée embarquer dans la vie, dans sa rapidité, son urgence, ses priorités matérielles, ses exigences de survie, j'ai un métier, que j'aime certes, mais pas tant que cela je l'avoue, j'ai un Amoureux, un vrai je crois, j'en suis sûre, j'ai une petite fille, une merveilleuse petite fille, qui a fait de moi une mère, une femme, qui m'a donné un but, une responsabilité. J'ai un appartement, un bel appartement, un appartement qu'il faut ranger, nettoyer, entretenir, un frigidaire qu'il faut remplir, du linge qu'il faut nettoyer repasser, un lit que je fais, que je défais, la vie passe, et j'ai déjà vingt-huit ans, une vie d'adulte, et c'est quoi une vie d'adulte ? Est-ce que ça veut dire que les rêves ne seront jamais que des rêves, est-ce que ça veut dire se résigner ?

Je tiens ce blog depuis des années. Depuis mon entrée en PE1 je crois, soit sept ans environ. Une éternité. Après une longue période, un silence nécessaire, une page tournée, j'y suis revenue finalement, parce que ce blog m'a vue naître, en quelque sorte, du passage de l'adolescence à l'âge adulte, du cocon familial quitté au profit de mon premier chez-moi, de mon Premier Amour chaotique et compliqué, celui qui brise le coeur, à mon Grand Amour, celui qui fait voir que tout était évident au bout du compte, des Amitiés épanouies et définitives à celles perdues pourtant définitivement sans doute, tout ça, toute ma vie, finalement, elle est là, ici, cachée, voire complètement exposée entre les lignes de ce blog, et je n'aime rien plus que de laisser cette trace de moi, à travers les années, les espoirs, les désillusions, l'intensité des sentiments, aussi divers soient-ils, avec en fil rouge mon amour de l'écriture, parce que je suis intimement persuadée toucher du doigt, dans les phrases, l'émotion des mots, leur agencement si particulier qui crée le style, ce qui est et restera inaccessible, chimérique, dans la vie réelle, terre-à-terre, dans le quotidien harassant de tous les jours : la beauté, comme un instinct d'absolu, une empreinte.

J'ai vingt-huit ans, un roman commencé il y a quatre ans et demi maintenant, à un moment où je devais absolument écrire, plus que d'habitude, je ne faisais d'ailleurs que ça, écrire, parce que la survie passait par là. J'ai 120 pages en sommeil dans mon ordinateur, 120 pages qui attendent une suite, autre chose que des interrogations incessantes, 120 pages de personnages qui ne demandent qu'à continuer de vivre, à évoluer, un projet qui me titille, me travaille, mais qui n'avance pas, qui n'avance plus, pas comme je le voudrais, un projet dont je ne viendrai certainement pas à bout, parce que c'est tellement de courage, tellement d'énergie, tellement de disponibilité d'esprit, un projet stoppé sans que je m'en aperçoive vraiment, que j'ai laissé se déliter quand je l'ai rencontré, parce qu'alors j'étais tellement occupée, tellement occupée à être heureuse... Je n'ai pas vu que je me perdais de vue.

J'ai fait un rêve. Celui d'écrire des livres. Je suis enseignante, enseignante et seulement enseignante.

Où est passée la petite fille que j'étais, celle que je suis en train de décevoir ?