Max | Montaigne, Marie, Melchisédech et son niveau à bulle

Publié le 13 août 2012 par Aragon

...C’est une perfection absolue et pour ainsi dire divine que de savoir jouir de son être...

Concluson des "Essais"

Très sérieux : Ce que je sais c'est que je ne sais rien... ou presque. Voyons... Comment c'est parti ? Comment cette réflexion m'est-elle venue ? J'essaie de reprendre le fil, oui, ça y est. Montaigne. C'est parti de Montaigne. Je découvre aujourd'hui une perle rare en côtoyant celui que je nomme outrancièrement et avec si peu de déférence "Mon cher Montaigne" car je suis bien épris de l'homme et de son oeuvre. Je prends souvent une page des "Essais" au pif, je lis, je navigue, je réfléchis, je reviens à terre rassasié. Son rapport avec La Boétie m'avait ému aux larmes lorsque je l'avais découvert, à l'adolescence. Je me disais que c'était une aventure extraordinaire qu'ils avaient vécue ensemble. Cette proximité fusionnelle sans rien altérer des personnalités, des espaces de liberté individuels et particuliers. Incroyable !

Et voilà que je découvre hier quelqu'un d'autre que je ne connaissais absolument pas. L'alter ego d'Etienne : Marie de Gournay. Fabuleuse Marie de Gournay ! Je lis fiévreusement, je découvre, je creuse, je cherche, mon ordi en tremble encore, le processeur a failli en claquer. Je suis subjugué par Marie de Gournay qui a vécu des heures essentielles et magiques au contact (à 90 % épistolaire) du sieur Eyquem de trente ans son aîné. Montaigne qui appellera la petite Marie sa "fille d'alliance". 

Me voilà donc embarqué une grande partie de la nuit dernière et aujourd'hui encore avec cette femme qui eût une vie incroyablement singulière et pas seulement du fait de sa proximité avec l'illustre Montaigne. Pionnière d'un vrai féminisme à une époque ultra machiste où la femme ne comptait que pour peanut, ne se devait qu'à son époux, qu'à son foyer, qu'à ses enfants, qu'à sa quenouille. Elle écrit un essai d'égalité Femme / Homme, elle voyage, elle reste volontairement célibataire, elle fréquente les libertins, elle est philosophe, elle est poétesse, elle sait le latin et le grec, elle traduit Ovide, Virgile, d'autres encore, c'est une femme de lettres, une philologue, elle a tous les dons et surtout elle est et se veut FEMME. Je suis scié ! L'histoire se passe dans les années 1590 faut pas oublier !

Et Marie me conduit à d'autres personnages qu'elle côtoie, d'autres incroyables personnages et je suis encore re-scié, je suis baba, je défaille de bonheur de connaître ces gens-là, ces incroyables figures du XVIème que je ne connaissais absolument pas. J'arrive à soixante balais pour rencontrer Juste Lipse lui aussi philologue mais humaniste aussi, qui présentera ma petite Marie comme femme lettrée à l'Europe entière. Elle fréquente Henri Louis Habert de Montmor érudit, homme de lettres, membre de l'Académie française, un des fondateurs de l'Académie des Sciences. Un bond encore, sautant des genoux de Marie pour arriver aux pieds d'un autre personnage extraordinaire : Melchisédech Thévenot. Cet homme comme Pic de la Mirandole est un mystère. On ne sait pas d'où vient son immense fortune. Une intelligence prodigieuse surtout, un génie ! On sait qu'il pratiquait couramment une multitude de langues : anglais, latin, grec, hébreu, arabe, turc. On sait qu'il a beaucoup voyagé (pas de low coast à l'époque), qu'il écrit des récits de voyages sur moult pays : Russie, Crimée, Tartarie, Chine, Formose, Inde, Perse, Arabie, Terre Sainte, Siam, Bengale, Bornéo, Égypte, Philippines, Japon, Afrique, Amérique. Il est cartographe, bibliothécaire du roi, membre de l'Académie des Sciences. Il rédige un traité sur la natation et "l'Art de nager" (les grecs et les romains disaient bien d'une personne un peu neu-neu "qu'il ne sait ni lire ni nager". Benjamin Franklin un autre génie hors du commun, féru de natation, inventeur entre autre des palmes (y'a pas que le paratonnerre), est un de ses lecteurs enthousiastes. La natation était considérée comme très importante par les cerveaux de l'époque, tiens, à propos de cerveau, notre Melchisédech est féru de médecine qu'il étudie et il participe à une opération de dissection de cerveau en son logis. Il étudie l'astronomie, la physique, les mathématiques, il étudie tout... Il invente un truc qui me fascine depuis toujours, depuis que je suis môme. J'en ai toujours eu un dans ma table de nuit : Un niveau à bulle. C'est lui qui va inventer le niveau à bulle ! Alors là, s'en est trop, je découvre hier soir l'inventeur du niveau à bulle. Je le prends dans mes bras et je l'embrasse et lui me dit, gêné, "Arrête, arrête, c'est trop, je ne suis rien qu'un homme qui fait peut être un plus plus marcher sa cervelle que les autres, mais un homme... Arrête Max "

Et je lis tout ça et je découvre tout ça, c'est comme si je passais des heures aux pieds de tous ces gens-là, en leur illustre compagnie et ils m'acceptent et ça jase, ça réfléchit, ça écrit, ça fait et refait le monde et le monde justement se fait par ces gens-là. Je suis ivre de joie et de bonheur depuis hier soir d'avoir découvert et la petite Marie et Juste Lipse et le sieur de Montmor et Melchisédech Thévenot... et Michel de Montaigne qui me flanque alors tout à l'heure un coup de coude amical dans les côtes et qui me dit : "Tu vois ! T'avais encore rien vu dans ta vie et t'as pas fini de voir !!!" Et il part alors d'un grand éclat de rire.

Quand on pense qu'à cette époque on était en plein conflit religieux, qu'on se tuait, qu'on s'étripait, que l'Europe était le plus souvent à feu, à sang, à sac. Et ces esprits éclairaient ces nuits de folie pour l'humanité et ces esprits ne doutaient pas de l'avenir, ces esprits éclairaient le monde, ils annonçaient 2012, oui, ils ne doutaient pas de l'avenir. Ils savaient que des tas de gens de toute condition sociale & intellectuelle & etc. , que moi, petit mec ultra ordinaire qui n'a jamais été capable d'étudier correctement la table de 6, que nous allions tous nous émerveiller de faire leur rencontre, car la rencontre doit se faire... quand on cherche un peu. Quand on s'amuse à faire marcher et son coeur et son cerveau. C'est marrant la vie tout de même. Incroyable le bonheur que tu me donnes ce soir petite Marie de Gournay !


Francis Cabrel - Petite Marie par Quarouble