Mon cher Victor,
Mirabelle, avant que tu n'ouvres la bouche, je tenais à te signaler une chose
: voilà des semaines, que dis-je, des mois, que j'attends, désespérement, la fin de l'histoire. La fin de l'histoire ? Aaaahhh ! Tu vois,
c'est si loin que tu ne t'en souviens même plus ! Euuuh... Tu m'avais raconté la dernière échographie de ta grossesse, tu sais, ce souci au
cerveau de ta fille. Ah oui, c'est vrai, je ne t'avais jamais tenu au courant du verdict de l'échographie de contrôle... Enfin, je me doute
bien que tout va bien, mais enfin, on ne sait jamais, peut être y a-t-il des suites ou... Tu as raison, Victor, mieux vaut établir clairement les choses.
Eh bien après une
quinzaine de jours d'angoisse concernant le ventricule du cerveau de ma fille, Chéri avons été rassurés : la dilatation s'était résorbée, et même en mesurant de tous les côtés,
par tous les bouts possibles, les dimensions obtenues étaient conformes à la norme. Pas d'IRM à prévoir, pas d'examens supplémentaires, et la certitude, énoncée distinctement, que
tout irait bien à sa naissance. Nous avons donc soufflé un bon coup (une fois de plus), j'ai pleuré de soulagement dans la voiture et j'ai (une fois de plus encore), ordonné à ma fille, en
caressant mon ventre, d'arrêter ses bêtises. Les frayeurs, ça suffit ! Une fois à la maison, je me souviens avoir inspecté le contre-rendu de l'échographie sous toutes les coutures, et
m'être interrogée sur un point, qui, aux dire de mes proches, tenait du "détail sans importance", mais compte tenu de la tournure prise par ma grossesse par la suite, la prééclampsie et ce
qu'elle implique, je ne doute pas désormais avoir vu juste : le fémur de ma fille n'avait absolument pas changé, pas grandi, et son poids n'avait quasiment pas augmenté non plus. Quand on m'a
déclenchée, j'en ai discuté avec le gynécologue, qui a confirmé ce que je suspectais, à savoir que la prééclampsie était en train de détruire mon placenta, empêchant le bébé de se développer
correctement, d'où l'urgence de notre situation à toutes deux. Allez, allez, tout cela est derrière toi, maintenant... Oui, c'est vrai, et
quand je vois ses bonnes joues, ses petits bras, leurs petits plis, ses sourires, ses gazouillis, ses presque six kilos, j'en ai bien conscience, mais il est difficile de se détacher du
souvenir de cette grossesse mal démarrée, mal terminée... Allons allons... Hem... Ma petite Mirabelle... C'est comme ça... Tu auras davantage de chance
la prochaine fois, j'en suis sûr ! Je l'espère.
En tous cas, il me semble important de t'expliquer ce par quoi je suis passée, pas dans les détails, bien sûr, parce que trois semaines d'hospitalisation, ce serait si long, si laborieux à décrire. Il faut cependant que je puisse mettre des mots sur ce que j'ai traversé, sur ce que NOUS avons traversé, sur ce que j'ai ressenti, car j'ai pu constater, non sans amertume, qu'une fois sortie de la clinique, on n'a plus le droit d'être mal, plus le droit d'avoir peur, comme s'il n'y avait aucune continuité entre les circonstances de l'arrivée d'A. au monde et notre retour à la maison. Parce que le bébé est rose (enfin !), va bien, peut téter, respirer seul, parce qu'il ressemble à n'importe quel bébé en pleine forme et que le passé, les scops, les pleurs, les sondes, tout ça ne doit plus exister. Ce n'est pas si simple et j'ai pu me rendre compte que peu de gens, notamment les femmes, notamment les mères, étaient capables de le comprendre. On a vite fait de balayer pour vous l'expérience de la néonatalogie, d'un revers de main, ce traumatisme insidieux, silencieux et indicible, dont on met du temps à se remettre. Alors je vais te raconter, je vais te raconter tout ça, le monde de la Néonat, parce que c'est un monde, vraiment, qu'il faut que tu saches, que tu en aies une idée, si peu de gens en ont une, et si peu de gens en sont curieux, c'est tellement terrifiant, on préfère ne pas voir, ne pas essayer, il faut que tu saches, Victor, il faut que tu saches...