Parmi elles, le 15 août.
Officiellement, c'est la pire des dates.Rue 89 l'évoque à sa façon ici. Cela m'a fait remonter quelques souvenirs.
Il y a quelques temps, je bossais dans un quotidien régional et j'étais de faction un 15 août. C'est assurément l'un des meilleurs souvenirs de mes années presse. Ce 15 août-là, rien à l'agenda, donc. Et l'impérieuse obligation de trouver quelque chose puisque le lendemain, il y a un journal qui sort.
J'ai une page à remplir.
J'ai épuisé les stocks d'articles, rien ne se profile.
Soudain, lumière !
L'actu du jour et qu'il n'y a pas d'actu, je me dis. Et de cela je vais faire un sujet. Qu'est-ce qu'il se passe dans un coin de France quand il n'y a pas d'actu ?.
Je me décide à la jouer professionnel jusqu'au bout. J'en fais un reportage. Je pars sur le terrain, avec mon carnet de notes et mon appareil photo, d'autant qu'il fait (très) beau. De toutes façons, comme il n'y a rien, je ne crains pas les coups de téléphone (en ce temps-là, il n'y avait pas de portables comme maintenant).
Et me voilà en train d'arpenter "au hasard" mon coin de pays, sur les traces de ce rien devenu objet de reportage.
Je roule au petit bonheur la chance, comme on dit. Et la chance me sourit. Car je vois plein de choses. Eloge de la simplicité. Je passe pour le coup une journée extraordinaire.
Chemin faisant, le traitement du sujet a tracé son sillon. Je me rends compte très vite que contrairement aux apparences, lorsqu'il n'y a rien, il y a plein de choses.
Chacun y va de son occupation.
Je croise des gens et plutôt que de leur demander ce qu'ils pensent de ce 15 août, de ce "rien à faire", je me lance dans des interviews micro-trottoir aux airs de Devos, par moments.
Faites quoi là ?
Rien me dit l'un.
Rien, c'est-à dire ?
Oh, plein de choses. J'en profite.
Quelle poilade !
Le "rien", aussi, devient un art de vivre.Qui pêche. Qui pétanque. Qui bouquine. Qui se balade. Qui barbecue. Qui reçoit des amis.
Le soir, je m'éclate à narrer tout ça. J'en chie même : j'ai tellement de choses à dire !
Ce 15 août-là fut important pour moi en ce qu'il a changé radicalement ma manière d'appréhender mon métier. Au point de le quitter quelques années plus tard, faute de me sentir en phase avec mes congénères. J'ai notamment compris ce jour-là qu'on ne regardait que ce que l'on voulait bien voir.
J'ai pensé qu'un journal, qu'un média doit être ce regard qui porte au-delà, plus loin que ce que l'on voit.
J'ai aussi dû me bagarrer avec des "collègues" qui n'avaient pas goûté ma manière de "traiter" l'actualité ce jour-là. Pour eux, c'était absurde, mon truc. Pour moi, c'était absurde leur manière de se faire croire coûte que coûte que l'actualité était "quelque chose" qui tombait du ciel. Fait par d'autres.
Ce 15 août-là fut tout simplement un bonheur.
Où l'on parle de tout et de rien. Ou d'un rien on comprend beaucoup. Notamment qu'au-delà des apparences, pour peu que l'on regarde, il se passe toujours plein de choses.