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Retour sur la cosmologie dogon

Publié le 01 avril 2011 par Cosmologik22

Alors qu’une exposition appelée “Dogon”est annoncée pour le 5 avril 2011 au Musée du quai Branly, il est opportun de remontrer les images de reconstruction de la cosmologie dogon.
Il y a d’abord eu une publication chez Géo (août 2005)…

Retour sur la cosmologie dogon

…images affinée ensuite pour le livre Mondes (éditions de Seuil-2008)…

Retour sur la cosmologie dogon

Plusieurs fois cette image a par la suite été présentée dans des expositions, décrite lors d’échanges autour de mes recherches.
J’ai même réutilisé la trame de sa partie terrestre (7e disque en partant du bas) pour le Livre des Terres imaginées, où il n’était question que de terres…

Retour sur la cosmologie dogon

Prochainement, ce monde va être animé dans un film réalisé pour le PLUS (Palais de l’Univers et des Science de Dunkerque). Pour ce projet, j’ai fait comme avec avec un puzzle, j’ai démonté ma construction pièce par pièce et tout reconstruit pour revérifier mes sources et apporter de nouvelles informations, plus liées à l’observation du ciel.

Pour celles et ceux qui se demandent d’où vient cette cosmologie, sur quelles sources elle est fondée, voici quelques informations :

LES DOGONS

Peuple du Mali, habitant près de la boucle sud-ouest du fleuve Niger, autour des fameuses falaises de Bandiagara. L’origine des Dogons repose sur une migration ancienne pour laquelle deux hypothèses sont avancées : une fuite sous la pressions des Almoravides (XIe siècle), une migration depuis le centre de l’Empire Keita (au XIIIe et XIVe siècles)(1). En arrivant à Bandiagara, les Dogons trouvent et chassent les Kouroumba, peuple qu’ils appellent les Tellem dans leur mythologie. L’habitat le long de ces falaises n’a pas empêché les Dogons de subir la pression de peuples voisins, les Songhaïs, les Banmanas, les Fulbes, les Toucouleurs et enfin… les coloniaux français.
L’école d’ethnologie française, dirigée par Marcel Griaule, se passionne pour ce peuple d’agriculteurs dont les traditions révèlent une culture complexe. Toute une génération d’ethnologues et d’écrivains se forme dans le sillage de Griaule au cours de plusieurs missions : Germaine Dieterlen, Denise Paume, Solange de Ganay, André Schaeffner ou encore Michel Leiris (2). Les ethnologues, aidés de leurs informateurs, recueillent des mythes auprès des vieux sages, assistent à des sorties de masques, etc. Ces observations donneront lieu à de nombreuses publications scientifiques, et à la diffusion de reproductions de masques et de mythes romancés auprès du grand public.
Aujourd’hui, le territoire dogon, appelé “pays dogon”, demeure un site exceptionnel, habité par des êtres dont les traditions et les masques fascinent, mais il est aussi devenu une destination touristique de premier ordre et une sorte d’utopie folklorique (3).
Je suis du reste passé en pays dogon, lors d’un merveilleux voyage au Mali en aout 1997.

SOURCES / DATATION ET CONTEXTUALISATION

Cette cosmologie est principalement basée sur une sélection raisonnée de travaux de Marcel Griaule (1898-1956).
Il convient de distinguer deux périodes de collectes d’informations et de publications chez Griaule : 1/ Les années 1930, avec Masques Dogons qui demeure un ouvrage de référence. 2/ Les années 1950, avec Dieu d’eau et Le Renard pâle. Ces deux derniers ouvrages sont basés sur des entretiens réalisés avec un vieux sage Dogon appelé Ogotemmêli. Cette dernière période a été critiquée par les exégèses d’anthropologues modernes (voir retour sur la critique des anthropologues).

• Source principale : Masques Dogons (1938). Au début de cet ouvrage consacré à la symbolique et l’usage des masques, de précieuses informations sur la cosmogonie, la structure et la description du système du monde sont présentées. Ces informations correspondent à une enquête de terrain menées au début des années 1930. Il ne contient que très peu d’informations sur les astres et l’observation du ciel.

• Source secondaire : Le Renard pâle (1965). Les mythes ont été collectés au cours d’une enquête qui remonte à 1954. Le Renard pâle est avant tout un très long exposé cosmogonique qui contient de nombreux mythes relatifs aux astres. Mais ces informations sont à prendre avec précaution. Il est possible de les utiliser à condition de mentionner leurs critiques.
En revanche, j’ai exclu le fameux Dieu d’eau : non seulement la source du livre est la même que Renard Pâle (les entretien avec Ogotemmêli, le recours aux mêmes informateurs et traducteurs), mais en plus les informations recueillies sont romancées, donc déformées par un dispositif littéraire qui sort du champ d’étude anthropologique approprié pour ce genre d’étude.

• Autre source : L’éclairage et la critique des anthropologues modernes
A partir des années 1970, des anthropologues passent au crible l’œuvre de Griaule, ils lui reprochent de ne pas maîtriser la langue du peuple étudié, de passer par des traducteurs (Ambara et Amadingué) dont la fiabilité serait douteuse, de recourir à des méthodes “judiciaire” et “militaire”, de trop s’intéresser à la numérologie et au symbolisme. Pour Walter van Beek, l’auteur le plus critique, les entretiens d’Ogotemmêli sont une “fiction interculturelle” (4).
Pour mieux comprendre ces travaux, rappelons plusieurs points importants de contextualisation :
- Marcel Griaule est un homme de son temps, une époque où l’Afrique est marquée par le phénomène colonial.
- L’ethnologue français avait un “projet” visant à réhabiliter la culture africaine. Dans la revue Psychée en 1947, il écrit : “Il convient de dire à l’Européen, comme à l’Américain, que les temps sont révolus où ils pouvaient se croire les rois du monde et où ils tenaient dans une affection condescendante ou dans un mépris souverain les peuples conquis en vertu du droit du plus civilisé, du plus fort.” (5).
- L’ethnologie est devenue anthropologie. Les sciences humaines évoluent au gré des époques et des idéologies, l’analyse du fait social a remplacé l’étude du champ religieux et du symbolique, au point que les anthropologue des années 1970-80-90 se sont désintéressés des cosmologies traditionnelles. Mais depuis quelques temps, l’étude du religieux revient sous d’autres formes, etc.

• Le problème de la récupération par des ufologues
Malheureusement, les informations concernant Sirius et le mythe de l’arche du Nommo ont été récupérées par des ufologues (6) peu soucieux de méthodes scientifiques, semant davantage le trouble dans cette compréhension de l’œuvre de Griaule. Ces interprétations n’ont pas lieu d’être dans la présentation de l’observation du ciel chez les Dogons.

QUELQUES CARACTERISTIQUES

• Une tradition orale
Cette cosmologie est une tradition orale rapportée par des anthropologues aidés de traducteurs/informateurs. Comme dans de nombreux autres contextes culturels où ce genre de méthode est utilisée, il ne faut pas chercher de tradition “authentique”, “vraie”, mais disons que cette vision du monde “tend” à rendre compte d’une tradition.  De plus, cette tradition mélange des mythes et des observations concrètes de l’environnement, notamment des phénomènes célestes et des mouvements des astres. Les informations qui résultent de ce mélange peuvent paraître fantaisistes, contradictoires aux yeux de la logique moderne, mais elles relèvent d’un mode de transmission opératoire qui est fréquent lorsqu’on décortique des cosmologies dites “traditionnelles” : il se caractérise par le “bricolage” (7).

• Un savoir réservé à quelques individus : les Hogons
Ce n’est pas la vision d’un peuple dont il est question mais celle d’un groupe d’individus, en l’occurrence les Hogons, hauts dignitaires religieux, vieux sages, membres de confréries initiatiques fermées, gardiens des traditions.

• Des influences exogènes
Les cosmologies “bricolent” des savoirs complexes en superposant des informations issues de divers registres mais aussi diverses sources, certaines sont liées à une tradition transmise dans la communauté, d’autres sont des emprunts réalisés à d’autres cosmologies, en l’occurrence souvent issues de cultures dominantes ou omniprésentes. On peut ainsi parler de phénomènes d’acculturation.
Chez les Dogons, on suppose des influences extérieures plurielles :
- La cosmologie musulmane : Comme dans de nombreuses cosmologies subsahariennes (comme les Banman ou les Fulbe voisins), la cosmologie musulmane a influencé les cosmologies traditionnelles (8). Quelques indices vont dans ce sens : le nombre de ciels (importance du chiffre 7), le modèle en étages correspondent au “Récit de l’échelle de Mahomet” (9).
- Le récit de la Genèse : La cosmogonie dogon de Masques dogons mentionne des éléments qui évoquent la Genèse :  une creation ex-nihilo, un premier couple humain (Adama et Awa) (10), etc.
- Des échanges avec des missionnaires : des échanges sont attestés au début des années 1930 à Sanga. Il est donc est posible que des missionnaires aient pu transmettre des informations relatives au ciel aux Dogons (11), des éléments totalement absents des périodes d’investigation d’avant-guerre : Sirius et ses compagnons, les satellites de Jupiter, le motif en spirale des mondes, etc.
- Des traditions d’ethnies proches : certains mythes dogons sont des emprunts à des mythes d’ethnies voisines, comme les Mossis, les Bozos, les Songhaïs. Ces histoires peuvent être racontées en public, on les appelle êwênê (12). La trace de ces emprunts peut s’accentuer selon les informateurs.
L’accumulation de races d’emprunts à des récits étrangers mettent à mal la prétendue authenticité des mythes dogons.

COSMOGONIE

Les mythes qui racontent la création du monde contiennent souvent des informations sur la terre, le ciel, les astres, etc. Chez les Dogons, le récit cosmogonique  occupe une place très importante dans la mythologie rapportée par l’école française d’ethnologie. Marcel Griaule et Germaine Dieterlen en décrivent les étapes dans des centaines de pages, dont certaines sont particulièrement ésotériques. Entre Masques Dogons et Le Renard pâle, on remarque deux cosmogonies apparemment très différentes, le récit d’avant guerre est sommaire tandis que celui d’après-guerre est long et d’une grande complexité. Dans Le Renard pâle de nombreux détails sont donnés sur les astres, Sirius et ses compagnons, etc.
Pour le mythe cosmogonique, en tant que récit, nous proposons de nous limiter au mythe le plus authentique, le moins critiqué par les anthropologues modernes, à savoir celui présenté dans Masques Dogons.

Source principale : Masques dogons (13)
- Création du monde : Amma créé le ciel, la terre, l’eau et le génie Nommo. 14 terres et 14 ciels sont empilés. Il fait descendre le génie sur la terre sur une arche par le chemin de l’arc-en-ciel. Il crée des êtres immortels : le caméléon, la  tortue, les esprits Yeban (des rochers), les arbres, les plantes, le lézard, les rapaces, la tourterelle, le lion, l’hyène, la panthère, le hibou. Puis il créé l’homme et la femme (“selon certains informateurs, l’homme s’appelait Adama et la femme Hawa“). En ce temps-là les humains étaient aussi immortels, leur âme pouvait quitter leur corps pour se rendre dans le monde des génies Yeban. Leur corps pouvait se transformer en grand serpent pour les rejoindre.
- Destruction du premier monde : La Terre et le Ciel des humains se sont mis à se quereller, la Terre prétendit être la plus vieille, provoquant la fureur de l’Amma du monde d’en bas (Il y a un Amma par monde, celui du bas est le plus vieux et le plus puissant.). Amma renversa le poteau du bas, faisant tomber le ciel sur la terre, et chaque Amma l’imita, si bien que tous les êtres furent broyés. Les seuls épargnés furent les vieilards transformés en serpents et les esprits Yeban.
- Reconstruction : “La Terre reconnut que le Ciel était le plus fort”. Les Amma de chaque monde redressèrent l’édifice mais le ciel était si bas que les nouveaux hommes (Andoumboulou) ne pouvaient pas grandir.
- La lune griffée : “La lune était alors comme un miroir fraîchement formé de matière molle. L’hyène, l’ayant trouvée belle, voulut la toucher de sa griffe et laissa au centre une empreinte, car l’astre était encore chaud”.
- Les étoiles sont des jouets : “A cette époque, les femmes prenaient les étoiles pour les donner aux enfants.” Puis les femmes remettaient les jouets à leur place.
- Le ciel est trop bas : Le soleil était si proche de la Terre qu’il brûlait les hommes et le ciel si bas qu’il gênait les femme lorsqu’elles utilisaient leur pilon. C’est une vieille qui repoussa le Ciel avec son pilon à la place qu’il occupe aujourd’hui. Les hommes purent enfin grandir…
(étapes intermédiaires : invention du feu par le forgeron, invention de l’agriculture, domestication des animaux.)
- Nouvelle querelle de la Terre et du Ciel : La Terre déclare être plus grande que le Ciel, provoquant à nouveau la colère d’Amma. Il monta au Ciel et empêcha la pluie de tomber. Grâce aux coups du forgeron, aux tambours d’un cordonnier, qui vénéraient Amma celui-ci redscendit sur terre et fit tomber la pluie. “Amma est grand, la terre est petite”.
(étapes finales : découverte des fibres par une femme, apparition de la mort, invention du Sigui, etc.).

Retour sur la cosmologie dogon

SYSTEME DU MONDE

Dans Masques Dogons, dès la deuxième page du mythe cosmogonique, un système du monde est en marche, une représentation est donnée, un schéma est même utilisé en marge du récit. On ne retrouve pas cette approche dans les ouvrages d’après-guerre, la tentation de donner à voir un système complet a été remplacée par une profusion détails sur les objets célestes.
Alors que Masques Dogons demeure notre source principale, nous avons cru bon de mentionner les indices cosmologiques présents dans Le Renard pâle, à titre d’indication. On décèle quelques convergences comme la structure du monde basée sur le chiffre 7, l’archétype du système du monde figuré par un cercle traversé par un axe aux extrémités évasées. Mais aussi des divergences comme sur le mouvement de la terre, ou le rôle de spirale.

• Source principale : Masques dogons (14)
- une terre circulaire entourée par un serpent : “La terre ronde et plate, entourée d’une grande étendue d’eau nęn di, eau de sel, en forme de couronne. Cette mer elle-même est encerclée par un immense serpent, yuguru na, qui maintient l’ensemble en se mordant la queue. S’il venait à lâcher prise, tout s’effondrererait. “
- l’axe du monde : “Au centre de la terre, au nord des falaises, s’élève un poteau de fer, amma dyĩ (…). Il monte jusqu’à une autre terre qu’il soutient sans la traverser et qui se trouve au-dessus du ciel visible (…).” Ce poteau a une forme évasée aux extrémités.
- les 14 mondes : “La terre du dessus est comparable à celle où sont les hommes. Sept disques s’étagent ainsi vers le haut. D’autres part, la terre des hommes est la première d’une série de sept qui s’étagent en dessous.”.
- mouvement : “pour chaque disque, il existe un soleil et une lune ; le soleil est au-dessus des confins de la terre dont il n’éclaire qu’une partie, comme une lampe. Il est immobile, tandis que le disque tourne en un jour autour de son pivot de fer. Ainsi, tous les pays sont tour à tour éclairés.” (note : “pour un observateur placé sur terre= la terre tourne dans le sens des aiguilles d’une montre”).

• Complément : Anecdote rapportée par Michel Leiris (15)
- terre plate : Michel Leiris, qui a participé à la découverte des Dogons au cours de la fameuse expédition Dakar-Djibouti rapporte un épisode intéressant sur Ambara, un informateur de Griaule : “Ce matin, il  racontait à Griaule que, lorsque lui et ses camarades de l’école avaient dit, après une leçon de cosmographie, aux vieux que la terre était ronde, ils avaient été battus”. ce qui suppose que les Hogons croyaient que la terre est plate.

• Complément contradictoire : Le Renard Pâle (16)
- terre :“la terre se trouve dans un “monde d’étoiles en spirale”.
- axe : le monde d’étoiles en spirale de la terre tourne autour d’une axe qui relie la polaire à la Croix du Sud.
- mouvement des étoiles : “Les étoiles tournent dans le ciel. Les étoiles sont le signes inconnus d’Amma qui tournent dans le ciel”.
- double mouvement de la terre : “La terre tourne sur elle-même et parcourt d’autres part un grand cercle, adunǫ ḏigili “cercle du monde”, comme une toupie dont la rotation est accompagnée d’un mouvement circulaire”.

DESCRIPTION DES ASTRES

Il y a un grand déséquilibre entre Masques Dogons et Le Renard Pâle dans les mythes et descriptions des astres. Dans le premier ils sont quasi inexistants tandis que le deuxième en contient beaucoup, peu-être trop…
Dans les années 1990, Walter van Beek a remis en question les informations relatives à Sirius et ses compagnons.

Source principale : Masques dogons
Dans ce mythe il y a juste un épisode sur le soleil et la lune :”il existe un soleil et une lune ; le soleil est au-dessus des confins de la terre dont il n’éclaire qu’une partie, comme une lampe. Il est immobile”. et l’épisode sur les étoiles qui sont des jouets (voir cosmogonie).

Complément : Le Renard Pâle (17)
Renard pâle fourmille d’informations, parfois étranges…

• Voie Lactée
- yalu ulo, “Voie lactée de notre galaxie, qui résume l’ensemble du monde stellaire dont fait partie la Terre, lequel tourne en spirale” (p. 104)

• La spirale
Le mot “sprirale” revient à plusieurs reprises dans le Renard Pâle, alors qu’il est complètement absent des premières investigations de Griaule. Il est cité dans des extraits traduits et dans des commentaires, sous la forme d’un motif cosmogonique ou cosmologique :
- un motif cosmogonique (résumé du début du chapitre I) :
La spirale est au cœur de la création d’Amma, elle symbolise le dieu lui-même, l’énergie, le mouvement.
Après avoir créé et détruit un premier monde Amma en façonne un deuxième. Amma décide de ne plus superposer ses éléments mais de les mélanger. En son sein, dans l’œuf toujours divisé en 4 parties, Amma dessine les marques yala de l’univers, au nombre de 266 et anime une spirale au centre de l’œuf. Il ouvre les yeux, faisant sortir les yala de la spirale, inversant le sens de rotation de la spirale. La sortie des yala de la spirale les transforme en tõnu, annonçant la création des astres. Dans l’œuf d’autres yala, des jumeaux, inversent à nouveau le sens de rotation de la spirale, transformant la spirale en 7 “limites de l’espace”, yalu ulo.
“(…) le terme yalu ulo désigne la Voie lactée de notre galaxie, qui résume l’ensemble du monde stellaire dont fait partie la Terre, lequel tourne spirale. Le nombre 7 exprime la multiplication car il totalise 3 qui symbolise le sexe de l’homme et 4, le sexe de la femme.”
Amma, toujours au centre de l’œuf, “était lui-même comme un mouvement spiralant” créé la graine ovale de põ (fonio-digitaria exilis) et la dépose au centre. Cette petite graine, invisible, inaudible, contient la volonté créatrice d’Amma, puis sa parole. Puis Amma créé les 8 graines de céréale : ęmmę ya “mère des céréales” (sorgho femelle), ęmmę dī giru “œil de l’eau”, ęmmę pilu, ęmmę nakolo, ara gęũ (riz noir), yũ (mil), nũ (haricot), namu ī(cotonier. L’œuf s’est transformé en placenta double (même racine que cuivre) dans lequel les premiers êtres animés se forment, les Nommo anagonno, (silure), dotés de parole. Amma multilplie ses créatures, formant quatre paires de jumeaux mixtes : Nommo dię “grand Nommo” (reste au ciel près d’Amma, régisseur de l’atmosphère, de la pluie, se manifeste sous forme d’orage, d’arc-en-ciel (Nommo sizu “chemin de Nommo), Nommo titiyaynę “messager du Nommo” (protecteur et gardien des principes spirituels, sacrificateur), o nommo ‘nommo de la marre” (sera sacrifié à cause des actes néfastes de son jumeau, c’est lui qui sera rescuscité et descendra sur terre avec les premiers hommes sur une arche), nommo anagono ou Ogo, (c’est lui qui se révolte contre son créateur, introduira le désordre et se transformera en renard).
- un motif cosmologique :

Pour décrire le monde, la spirale revêt ici un sens plus fonctionnel, le motif sert à maintenir l’ordre du monde. Chose étrange, le motif se répète, à l’image des mondes  :
La Voie lactée est “l’image de la spirale des astres à l’intérieur du mondes d’étoiles en spirale où se trouve la Terre”. (p.321 + 169).
“L’ensemble des étoiles, celles qui font partie du monde d’étoiles en spirale où se trouve la Terre, visibles ou invisibles dans le firmament et celles qui font partie des autres mondes d’étoiles en spirales créés par Amma sont également en rapport avec l’ensemble des signes, expressions première de la pensée du Créateur. (…)”(p.466).
Il y a donc plusieurs mondes d’étoiles en spirales, le notre (celui où se trouve la Terre) et bien d’autres. En d’autres termes il y a une pluralité de mondes d’étoiles en spirales.
Plus loin, les anthropologues ajoutent “Le monde d’étoiles en spirale où se trouve la Terre, souligné par la Voie Lactée, tourne autour d’un axe théorique qui relie la Polaire, dū daga tolo “étoile du nord” à la Croix du Sud tenulu tolo “étoile du sud”, astres dits “yeux d’Amma”, lesquels soutiennent et surveillent le monde.” (p. 466).
“Le soleil tourne sur lui-même, comme sous l’effet d’un immense ressort en spirale. Renforcée par les “cordes” de pluie qui pénètrent en elle, la Terre tourne sur elle même et parcourt d’autre part un grand cercle adunǫ digili “cercle du monde”, comme une toupie dont la rotation est accompagnée d’un déplacement circulaire.” (p. 477)

• Etoiles
-”Les étoiles tournent dans le ciel. Les étoiles sont le signes inconnus d’Amma qui tournent dans le ciel”.
- Polaire : aduno girī, “œil du monde”, dū daga tolo “étoile du nord”
- Croix du Sud : aduno girī lẹy, “deuxième œil du monde”, enulu tolo “étoile du sud”
- Baudrier d’Orion : atānu tolo, “étoiles trois”
Groupe d’étoiles = “soutien de l’assise du monde”, témoins des signes maîtres et guides des 266 signes primordiaux :
- Sirius : sigi tolo, “étoile du Sigui”
avec ses compagnons, elles sont les “étoiles de la tête”
- 4 étoiles du chariot d’Orion : ami bogu tolo, “étoiles du nombril d’Amma”
- Pléiades : tôle ḏuṅo
- étoile du chevrier : ęnęgirinę tolo

• Sirius et ses deux compagnons
- Sirius : sigi tolo, “étoile du Sigui”
- premier compagnon de Sirius : põ tolo, “profond commencement” ou “étoile du folio”, révolution autour de Sirius en 50 ans.
“‘Amma a créé põ tolo la première de toutes les étoiles.”, et joue donc un rôle primordial dans la cosmogonie.
“Elle est la plus importante de toutes les étoiles”,
“(…) considérée comme le centre du monde stellaire”.
“Quand plus tard, ils (les hommes) la verront dans le ciel, elle leur sera un témoignage de renouvellement du monde”
“Elle est semblable à l’œuf du monde”, “considérée comme le réservoir, la source de toutes les choses. Elle est la plus petite, mais aussi la plus lourde des choses célestes”.
composée des éléments de base : air, feu et eau. avec un métal très lourd : “si l’on assimilait la dimension de son diamètre à celle d’une peau de bœuf étendu (…), elle pèserait aussi lourd que 480 charges d’âne (environ 35 000 kg)
Comme les autres étoiles elle s’est éloignée de la Terre (contrairement au soleil).
C’est le mouvement de põ tôlo qui maintient toutes les autres étoiles à leur place respectives.
“soutenant l’univers en tournant sur elle-même et autour de Sirius, on dit d’elle, qu’elle est le pilier des étoiles” C’est l’axe du monde entier.
- deuxième compagnon de Sirius : ęmmę ya tolo, “petit soleil des femmes”.
C’est le siège des âmes femelles. Plus volumineuse que põ tolo mais 4 fois plus légère. Elle met également 50 ans pour tourner autour de Sirius selon une trajectoire plus vaste (note  : “d’après une autre information, sa révolution serait de 32 années”).
Elle tourne pour transmettre les ordres de põ tolo à Sirius.
les autres étoiles sont les “étoiles du corps”
- lever héliaque de Sirius : conjonction des deux placentas initiaux. “Le lever héliaque de Sirius (…) et la révolution de põ tolo  (…) autour de cette dernière, seront associés à l’éxécution des cérémonies soixantenaires du Sigui qui commémorent actuellement à la fois la révélation e la parole aux hommes et l’apparition de la mort sur Terre.”

• Soleil et Lune
- Soleil : nay, “quatre”, chiffre féminin. Resté proche de la terre.
Il tourne sur lui-même, “comme sous l’effet d’un immense ressort en spirale”). C’est un reste du placenta d’Ogo (Le renard pâle). Distribue la lumière avec 22 rayons, répartis selon les points cardinaux.
“Il pousse le matin (…) il est alors le “soleil du levant”. Dans la journée il suit le “chemin de la chaîne de l’arche”. Quand il se couche on dit qu’il “est tombé dans l’arche”.
“Les deux mouvements apparents du soleil déterminent le jour (bay) et la nuit (digę), d’une part ; les solstices (dū daga nay “soleil du nord, teṅulu nay “soleil du sud”) et les équinoxes (nay logoron “soleil du milieu”), d’autre part.
C’est le génie Nommo qui le fait marcher d’est en ouest. Ses rayons sont des artères où circule le sang du placenta toujours qui nourrit la terre sèche.
- Lune : ie pilu, sèche et morte. Un sang impur y circule (cf sang des menstrues). Quand la lune est pleine c’est qu’elle a reçu le sang que lui envoie le soleil puis elle dépérit à nouveau. Les phases de la lune sont aussi associées à l’ouverture de la bouche du Nommo. La nouvelle lune (le Nommo se tait) est un moment défavorable où survient la mort. Le calendrier lunaire est le calendrier courant. La lune  marque le temps qu’ a mis Ogo pour arracher son placenta et former la terre. 2 mois = 60 jours correspondent aux 60 trous faits par Ogo dans son propre placenta.

• Planètes
Les planètes sont appelées Tole tãnaze, “étoiles qui traversent” ou “étoilent qui tournent”, par opposition aux étoiles fixes.
- Vénus : dana tolo, “étoile de la fontanelle”. 6 positions majeures sont observées au cours de l’année, un calendrier vénusien est ainsi associé à diverses activités humaines : agricole avec les étapes de germination, de développement, de récolte des céréales de base (mil).
Vénus est associée à plusieurs épisodes mythologiques majeurs : sacrifice de Nommo, circoncision du Renard. Les positions de Vénus sont liées à une série d’autels et de pierres levées rappelant les mythes primordiaux comme la circoncision d’êtres mythiques. Le calendrier n’est plus respecté pour la circoncision.
- Jupiter : dana tolo, “étoile de la fontanelle”
satellite de Jupiter : bala tolo, “étoile de l’arbre balā”
satellite de Jupiter : dana tolo, “étoile de la fontanelle”
satellite de Jupiter : gẹrẹllẹ tolo, “étoile du gẹrẹllẹ”
satellite de Jupiter : dana tolo, “étoile de la fontanelle”

• Important complément contradictoire : les recherches de Walter van Beek
Walter Van Beek a passé dix années auprès des Dogons dans les années 1980… et dans sa critique des méthodes de Griaule (valables pour Le Renard pâle et Dieu d’eau), il affirme plusieurs désaccords retentissants :
- les Dogons n’ont qu’une astronomie très rudimentaire.
- les Dogons n’utilisent pas les étoiles dans leurs rituels.
- les Dogons n’utilisent  que les positions du soleil et de la lune pour compter les jours.
- les Dogons connaissent bien Sirius mais l’appellent dana tolo.
- ses informateurs n’ont jamais entendu parler de Sirius comme une étoile double ou triple. Van Beek n’a donc pas retrouvé la trace du mythe de Sirius et de ses compagnons. Il a retrouvé Amadingue, un informateur qui avait travaillé avec l’équipe de Griaule, dont Ambara l’informateur principal… d’après Amadingue, Ambara  n’a jamais parlé en terme d’étoile-double ou triple mais “d’étoiles de différentes générations” (Sirius serait alors le grand-père, les deux autres le père et le fils). Les deux autres étoiles ne seraient que deux étoiles de la constellation du chien.

BIBLIOGRAPHIE

- Beaudouin Gérard, Les Dogons du Mali, Armand Colin, Paris, 1984.
- Jacky Bouju, Graine de l’homme, enfant du mil, Paris, société d’ethnographie, 1984.
- Doquet Anne, Se montrer Dogon, Les mises en scène de l’identité ethnique, Le Cerce no 5, automne 2002.
- Griaule Marcel, Masques Dogon, Institut d’ethnologie, Paris, 1938
- Griaule Marcel, Dieterlen Germaine, Le Renard pâle, Institut d’ethnologie, Paris, 1965
- Griaule Marcel, Dieu d’eau, entretiens avec Ogotemmêli, Fayard, Paris, 1966
- Griaule Marcel, Mythe de l’organisation du monde chez les dogons du Soudan, revue Psychée, no 6, Paris, avril 1947.
- Griaule Marcel, L’image du monde au Soudan, Journal de la Socité des africanistes, tome XIX, 1949, pp. 81-88.
- Griaule Marcel et Dieterlen Germaine, Un système soudanais de Sirius, Journal des Africanistes, 1950, tome XX, p. 273-294
- Jodra Serge, L’astronome dogon, Le étoiles du sacrifice, Ciel et espace, mai 1996, no 313.
- Leiris Michel, l’Afrique fantôme, Gallimard, Paris, 1996 (première édition 1934).
- Lévi-Strauss Claude, La Pensée sauvage, Paris, Gallimard, 2008.
- van Beek Walter E. A. , Dogon restudied, Current anthropology, no 32, pp. 139-168, 1991.
- van Beek Walter E. A.  et Jansen Jan, La Mission Griaule à Kangaba (Mali), Cahiers d’études africaines, pp. 363-376, no 158 (2000).
- Le Livre de l’échelle de Mahomet, trad. Gisèle Beson et Michèle Brossard-Dandré, Le livre de Poche, Paris,  1996.

NOTES

- (1) Gérard Beaudouin, Les Dogons du Mali, Armand Colin, Paris, 1984, p.34-35.
- (2) Voici comment Michel Leiris décrit ses premières impressions en arrivant à Sanga le 29 septembre 1931 : “Tout ce que nous connaissons en fait de Nègres ou de Blancs prend figure de voyous, de goujats, plaisantins lugubres à côté de ces gens. Formidable religiosité. Le sacré nage dans tous les coins. Tout semble sage et grave.” Michel Leiris, l’Afrique fantôme, Gallimard, Paris, 1996, p.213.
- (3) Lire à ce propos l’article d’Anne Doquet, Les mises en scène de l’identité ethnique, Le Cerce no 5, automne 2002.
- (4) L’article de Walter E. A. van Beek, basée sur une expérience longue sur le terrain remet en question toutes les analyses de Marcel Griaule. L’article est suivi d’un débat avec les points de vue d’autres anthropologues qui ne vont pas aussi loin que lui.
- (5) Marcel Griaule, Mythe de l’organisation du monde chez mes dogons du Soudan, revue Psychée, no 6, Paris, avril 1947.
- (6) Il est surtout question ici de The Sirius mystery de Robert K.G Temple, 1975.
- (7) La notion de bricolage décrite par Claude Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage (Paris, Gallimard, 2008, p. 581) est un outil conceptuel particulièrement utile pour la compréhension des mythes.
- (8) Walter E. A. van Beek mentionne l’influence de l’Islam sans vraiment le démontrer (Dogon restudied, A Field Evaluation of the Work of. Marcel Griaule, p. 157).
- (9) voir Le Livre de l’échelle de Mahomet, Paris, Le livre de Poche, 1991, p. 273.
- (10) Masques Dogons.
- (11) Walter E. A. van Beek cite les travaux de Carl Sagan.
- (12) Walter E. A. van Beek, Dogon restudied, A Field Evaluation of the Work of. Marcel Griaule, Current Anthropology, no 32, 1991,p. 150.
- (13) Marcel Griaule, Masques Dogon, Institut d’ethnologie, Paris, 1938, pp. 47-48, 131.
- (14) Marcel Griaule, Masques Dogon, Institut d’ethnologie, Paris, 1938, p. 43.
- (15) Michel Leiris, l’Afrique fantôme, Gallimard, Paris, 1996 (première édition 1934), p. 223.
- (16) Marcel Griaule, Germaine Dieterlen, Le Renard pâle, Institut d’ethnologie, Paris, 1965, p. 466.
- (17) ibid, pp. 104, 466-472,
- (18) Walter E. A. van Beek, Dogon restudied, Current anthropology, no 32, pp. 139-168, 1991.



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