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Hans

Publié le 24 août 2012 par Ctrltab

Hans

On sortait du café et à cet instant, je l’ai vue. Nos regards se sont accrochés. Elle m’a plu. Elle avait l’air d’ici et d’ailleurs. Elle marchait, résolue. Grande, blonde, jolie. La peau pâle et fine. Camouflée sous un k-way kaki. Elle portait un gros sac à dos. J’aurais voulu la suivre mais j’étais avec Anders, Sulie et Joaquim. De toute façon, je ne piste pas les filles dans les rues. Je ne suis pas un détraqué. Tout en parlant avec Joaquim, je l’ai regardée poursuivre son chemin. Elle est passée devant nous. Elle avait d’étranges chaussures, des nu-pieds avec des chaussettes en cote de maille argentés. Mes potes se sont moqués. C’était une allemande à coup sûr. Une touriste guerrière. J’ai ri avec eux. Un peu gêné malgré tout. Avant qu’elle ne traverse la rue, quelque chose est tombée de son sac. Mais elle, elle a surtout eu l’air surprise que la voiture s’arrête devant elle au passage clouté. Elle s’est légèrement tordue la cheville sur la route. Elle n’a pas remarqué son portefeuille et son carnet tomber. Mais nous, si. Etrangement, nous n’avons rien dit. D’un accord tacite entre nous quatre, nous l’avons laissée filer. Puis nous nous sommes approchés précautionneusement du butin. C’est étranger, l’idée de vol ne nous a jamais traversé l’esprit. Nous ne manquons de rien. Nous connaissons bien le concept de propriété privée. Nous le respectons.

Peut-être était-ce parce qu’elle était d’apparence étrangère ? Peut-être était-ce parce que nous avions envie de connaître le goût de l’interdit et de la transgression ? Je ne sais pas. En tout cas, Joaquim a ramassé le portefeuille et le carnet. Nous ne l’avons pas interpellée. Anders a dit : « On le prend, on le regarde et on le rend ensuite à la police, ok ? Demain. » Nous avons acquiescé de la tête. Sulie a protesté. La fille était à cinq minutes, pourquoi ne pas la rattraper ? Qui sait ? Cela allait lui provoquer beaucoup d’ennuis et si elle était vraiment étrangère, peut-être pire, de graves problèmes. Joaquim a haussé les épaules. Il ne lui a pas fallu plus de cinq minutes pour la faire changer d’avis. Il s’est lancé dans une rhétorique compliquée et raffinée dont il est le seul à maîtriser. Quand il vous déploie ce genre de discours, vous n’avez aucune chance de vous en sortir. En cinq minutes, Sulie fut persuadée qu’il fallait mieux que la fille retrouve ses biens demain, que cela serait une bonne épreuve initiatrice pour elle, qu’elle en sortirait grandie. Ce type est fils d’avocat. Chez eux, on ne parle pas que sous la forme de plaidoyer, même pour se refiler le sel à table. S’il devenait pasteur, il n’y aurait plus aucun athée sur terre, je vous garantis.

Nous avons décidé d’aller chez Anders pour regarder le trésor à l’abri des regards. J’étais aussi excité que les autres. Si j’avais suivi la combine de Joaquim, ce n’étaient pas pour ces belles paroles fallacieuses mais seulement parce que j’étais trop timide pour affronter de nouveau la fille blonde. Et surtout, je n’avais pas envie de la voir encore s’échapper pour une deuxième fois devant mes yeux.

On a pris la grande route. Devant le parc pour enfant, j’ai tourné la tête à gauche. Je l’ai vue sur la rue parallèle. J’ai voulu crier, ma bouche est restée close. On ricanait. On essayait de deviner chacun les uns les autres le futur dépouillage. Ca avait le goût de la première fois. On n’osait pas en pleine rue. On inventait n’importe quoi : des capotes, un trèfle à quatre feuilles, la photo de son chien, etc.

On est vite arrivé chez Anders. On est monté dans sa chambre en saluant rapidement au passage sa mère. Tout excités, nous n’avons rien remarqué du désarroi qui l’habitait. Et on a ouvert le portefeuille, ensemble.


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