Première soirée d'hier en beauté, au 7e Festival Cinémas d'Afrique, à Lausanne, en dépit de quelques ondées sur l'écran Open Air de Montbenon. Avec la projection de La Pirogue du Sénégalais Moussa Touré, un très beau film plein d'humanité. Autant que, projeté ce soir, le long métrage d'un autre Sénégalais, Alain Gomis, intitulé Aujourd'hui et déjà vu à Locarno.
"Je n'ai jamais vu autant de monde sur l'Esplanade", s'est exclamé hier soir Alain Bottarelli, l'un des animateurs de Cinémas d'Afrique, avec son compère Boubacar Samb également présent. De fait, ce ne sont pas moins de 450 spectateurs qui s'étaient assis sur les gradins gazonnés de l'Esplanade en plein air de Montbenon, jouxtant la Cinémathèque suisse, pour assister à la projection de La Pirogue, après les préambules d'une démonstration de danse frottée de hip-hop, par une compagnie locale, et la présentation de l'action Cinomade, visant à la présentation de films de sensibilisation au Burkina Faso, à laquelle une collecte a permis d'offrir un nouveau bus.
Rappelant le déclin du cinéma africain de ces dernières décennies "après un âge d'or certain", Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse, a souligné le regain de vitalité récent des cinématographies africaines, dont le festival offre un aperçu.
Dans la foulée, après un premier couac technique et une première ondée, le public a pu découvrir La Pirogue du Sénégalais Moussa Touré, qui a présenté lui-même son film.
Bref, c'est un beau film d'émotion non sentimentale, où les visages silencieux sont cadrés avec une profonde et respectueuse tendresse, que La Pirogue, dont le dénouement, avec retour forcé à la case départ pour certains survivants, scelle la douloureuse vérité sur fond de crise tous azimuts. À voir et revoir...
C'est une autre image de Dakar, loin de la mer et semblant parfois un dépotoir dévasté, qu'Alain Gomis donne dans Aujourd'hui, qu'il présentait récemment au Festival de Locarno. L'argument du film rappelle, en raccourci, celui de La Mort d'Ivan Illich de Léon Tolstoï, dont Akira Kurosawa a tiré le prodigieux Vivre. Plus précisément, il s'agit de la mort annoncé du protagoniste, qui va survenir ici le jour même et pas dans quelques semaines ou mois. Satché (le poète et musicien hip-hop Saul William) se réveille le matin, dans la maison de sa mère, en sachant (comme elle et tous ses parents et amis, voire toute la ville et le pays) que cet aujourd'hui est le dernier qu'il lui est donné à vivre. Accueilli la matin avec tous les égards affectueux de ses proches, le protagoniste, qui a passé quelques années aux USA avant de revenir au Sénégal pour la solennelle occasion (!),va traverser la ville en compagnie de son meilleur ami, qu'il quittera le soir pour retrouver sa femme (pas vraiment ravie par ce qui lui arrive) et ses enfants. D'une ancienne maîtresse probable à ses camarades de non moins probable militance politique, en passant par les rues et la cour d'un Hôtel de Ville où il arrive trop tard pour être fêté - épisode un peu surréaliste, voire fellinien, qui dit pas mal de choses sur l'état de l'Administration, sans un mot relevant du discours politique-, Satché s'arrête dans le jardin d'un beau grand oncle sage (interprété par un beau grand acteur décédé il y a peu de temps...) qui lui fait remarquer, comme il s'étonne de ce qui lui arrive, que c'est en somme une chance de savoir le jour de sa mort, qu'on peut vivre ainsi avec une intensité particulière... Et de lui montrer ensuite, comme Satché lui a demandé spécialement de laver son corps le lendemain, les gestes rituels avec lesquels il accomplira, avec la gravité requise, ces ultimes ablutions...
Dénué de toute emphase dramatique, Aujourd'hui touche à la poésie par la beauté de ses images, de ses cadrages souvent insolites mais jamais maniérés, autant que par sa bande sonore vaguement bluesy (comme dans Vivre de Kurosava, l'inoubliable mélopée du vieil homme sous la neige) et son enchaînement de plans très épurés rappelant ceux d'un Pedro Costa.
Ceux qui réclament un cinéma engagé à proportion des problèmes de l'Afrique seront peut-être décontenancés par ce film, et je trouve cela très bien. Je trouve très bien qu'un sentiment humain à caractère universel, lié à la crainte de lamort et au besoin de justification qu'éprouve tout individu confronté aux échéance sultimes, se module ainsi avecélégance et naturel. La dernière étreinte de Satché et de sa femme apparaît comme une sorte d'effusion essentielle, par delà les corps, après une longue station sur deux chaises-longues où chacun semble perdu dans ses pensées entre les gosses qui vont et viennent et la lumière qui décline...