Retour à la San Firmin
Comme chaque année, depuis plus de cinquante ans, je suis allé en pèlerinage dans cet absolu qu’est à mes yeux la San Firmin à Pampelune. Cette longue présence permet de repérer les évolutions, surtout la mienne. Je pourrais ainsi décrire mes intérêts successifs, l’Espagne, les taureaux, la politique, la sociabilité…, les changements, la disparition des anglo-saxons après le 11 septembre ou de la foire au bétail, l’art du toreo de Camino (l’émotion revient au souvenir de son travail devant une taureau figé autour de 1965) à Castella, l’augmentation du prix des billets… Evidemment ce qui a le plus changé, c’est ma place dans la fête. De la découverte au long des nuits, de l’ardeur de l’apprenti qui m’a fait regarder chaque jour de la semaine l’encierro à la même place du temps où il avait lieu à 6 heures ce qui réclamait d’être installé à 5, à l’accès au cœur de La Unica, la plus ancienne peña, à mon attitude actuelle, j’ai plus glané diverses perspectives qui ne s’articulent pas nécessairement car rien n’est identique. Rien ne dit que ce que j’ai pu observer autrefois d’un certain point de vue se perpétue aujourd’hui. Mais mon changement d’attitude m’interdit l’accès au précédent.
La fracture essentielle est évidemment l’irruption des filles surgies au milieu des années 80. Venu une fois encore pour le chupinazo, la fusée qui déclare les fêtes ouvertes devant la mairie, j’ai trouvé deux fois plus de personnes pour un espace identique : elles étaient arrivées alors qu’avant, les fêtes n’étaient réservées qu’aux hommes.
Année après année, pour atténuer les difficultés ainsi créées, j’ai construit mes propres régularités. Cette année encore, j’ai retrouvé une place pour l’auto au pied des remparts, la même depuis dix ans, je suis allé chercher ma place de corrida, bu un café à l’Iruña (3,50 euros cette année mais Hemingway y venait), acheté des cerises au marché, les dernières de l’année, des sandales pour l’été. Ensuite, j’ai suivi mon circuit habituel, le local de La Unica qui ne change pas, le marché de l’ail où il n’y a plus qu’un seul vendeur, et plus loin, celui des divers produits plus ou moins exotiques. J’ai mangé plus cher que d’habitude dans un restaurant que je connaissais bien. L’heure de la corrida est alors arrivée. Les taureaux ont été nobles mais ternes peu combatifs. J’ai pu cependant admirer l’art de Castella qui torée comme on le rêve, il prend le taureau loin devant et le conduit loin derrière, même de la main gauche, constater que malgré son savoir faire, El Juli ne le fait pas si bien. Au moins, ça, ça ne change pas, d’autant que c’est toujours un plaisir de pouvoir vérifier ses convictions. Puis je suis rentré.
Mais je reviendrai l’année prochaine, car la San Firmin c’est ma propre histoire.
Bernard Traimond