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Tu ne m’as pas jetée, c’est moi qui suis partie. Enquête sur les disputes de couples. Le Bord de l’eau, parution le 15 septembre 2012. Entretien avec l’auteur, Julie Campagne.

Publié le 27 août 2012 par Antropologia

Tu ne m’as pas jetée, c’est moi qui suis partie. Enquête sur les disputes de couples. Le Bord de l’eau, parution le 15 septembre 2012. Entretien avec l’auteur, Julie Campagne. Pourquoi les disputes sont-elles un objet anthropologique ?

Il y a plusieurs façons de répondre à cette question. D’abord, on peut se demander pourquoi les disputes ne seraient-elles pas un objet anthropologique, ou, ce qui revient au même, pourquoi se poser la question de leur valeur en tant qu’objet anthropologique. Je pense que la catégorie dispute – et à plus forte raison lorsqu’elle fait référence aux disputes des couples -résonne peut-être davantage comme l’objet d’une littérature psychologique. Mais les disputes sont des pratiques : on apprend  à se disputer. Ce qui fait qu’on ne se dispute pas n’importe comment, ni n’importe où, ni avec n’importe qui. Donc pourquoi ne pas en faire un objet anthropologique ? On pourrait aussi être amené à penser que les disputes des couples ne sont pas un objet anthropologique parce qu’elles sont inaccessibles à l’observation : l’anthropologue ne les voit pas en direct. Ce n’est pourtant pas la première fois que l’anthropologie est amenée à parler d’invisible et doit compter uniquement avec les discours produits par les interlocuteurs. Les objets anthropologiques passent leur temps à disparaitre et réapparaitre au travers des discours. Les disputes des couples me permettaient d’assumer cette situation dès le départ puisque je considérais chaque couple comme un groupe, une communauté à part entière : je ne faisais ni n’allais faire partie des couples étudiés. Enfin, bien que considérant les disputes comme des pratiques et du fait qu’elles échappent à l’observation en direct, on peut se demander pourquoi elles sont un objet anthropologique alors qu’elles semblent présenter une très grande variété. C’est pourquoi il faut se souvenir que « dispute » est une catégorie du langage. D’un langage partagé avec les interlocuteurs. C’est un mot choisi parmi d’autres pour générer des discours sur nos façons de vivre ensemble. Ou sur nos façons de vivre un peu plus séparés, un peu moins ensemble. Donc, en tant que pratiques et en tant que catégorie, les disputes peuvent être un objet anthropologique, même si elles échappent à l’observation directe.

Les entretiens ex-post permettent-ils d’accéder à la réalité des disputes?

Pour répondre à cette question, il faut jouer avec ce qu’on considère comme la réalité des disputes. Si l’on fait référence au moment précis de la dispute, évidemment non : les discours ex post ne permettent pas d’accéder à la réalité des disputes. Ils produisent une histoire des disputes vécues, un témoignage, un rapport. Pourtant, dans la lignée des propositions de Cavell, Laugier ou Jaujou, on peut se demander pourquoi ce sont bien ces mêmes discours ex post qui, d’une certaine façon, font exister la dispute : si les interlocuteurs n’en reparlaient pas, qu’est-ce qui m’autoriserais à considérer telle ou telle interaction comme une dispute ? Y a-t-il une réalité des disputes en dehors des discours ex post ? Il ressort des entretiens enregistrés pendant l’enquête sur les disputes des couples la place prépondérante qu’occupe la « conscience verbale » telle que l’a définie Gérard Althabe. En fait, de la même manière qu’on ne dit pas n’importe quoi pendant les disputes, on soigne le choix des mots pendant les entretiens. Les interlocuteurs ont conscience de créer une archive. Soit, on peut se demander si c’est un gage de réalité. En tout cas, il s’agit de parler au nom de la communauté couple en sachant que l’autre membre peut ou pourrait entendre ou lire les mots prononcés. Alors que la réalité des disputes au sens de réalité objective échappe aux entretiens ex post, ces derniers permettent d’accéder à cette historicisation des disputes.

La genèse du livre s’est étalée sur plusieurs années. Que vous a apporté ce long délai ?

Ce long délai n’est pas représentatif du travail que j’ai dédié au livre. Le texte était au départ un mémoire de master II, un texte au format académique présenté en 2006. L’enquête date aussi de cette époque. Quand en 2010, Éric Chauvier m’a proposé de le publier, j’avoue que je ne me souvenais plus trop du texte. J’ai mis un certain temps à le reprendre, parce que mes activités professionnelles et étudiantes ne m’en laissaient pas le temps. J’ai travaillé le texte pendant les périodes de chômage. Peut-être parce que j’ai fait des choses très différentes depuis 2006 je n’étais pas toujours d’accord avec ce que je relisais dans mon texte. Je trouvais qu’il manquait de subtilité. Mais je pense que c’est normal. Par contre, l’inverse est aussi vrai : la relecture du texte et surtout le contact renouvelé avec les auteurs que j’avais cités m’ont apporté beaucoup d’idées en 2010 alors que j’étais en train d’écrire un texte académique d’archéologie. Plus que le délai, c’est le fait que relire un ou plusieurs textes au moment de la rédaction d’un autre texte qui crée des interférences.



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