J'sais pas pourquoi j'ai toujours eu un faible pour le mot "chevalier". Quand on est môme chez les garçons, on est fasciné et par le blaze et par l'emploi, on peut pas couper au temps des épées car avant tout pour un gamin, chevalier égale épée, égale fameuses épopées. J'en ai taillé à la pelle des épées, de taille et d'estoc, de sacrément pointues, avec mon canif de Lourdes. Fabriqué des habits de chevalier à tour de bras aussi. Un carton sur la tête pour le heaume avec une fente pour les yeux, couvercle de lessiveuse au bras pour le bouclier, on dessinait à la gouache un lion, tu mettais une ficelle au guidon de ton vélo et c'était Ivanhoé sur sa monture en plus vrai que nature.
Quand j'y repense, incroyable ce temps des chevaliers pour un garçon, le problème c'est qu'on se fichait des princesses comme d'une guigne, on ne rêve que de plaies et de bosses à dix ans et on est sacrément servi avec des copains aussi fous que tu ne l'es, à dix ans les filles ça sert à rien, rien qu'à t'embêter ! Ça serait maintenant, avec mon esprit chevaleresque, je crois que ce n'est que la princesse que je "pourchasserais", mais pas de la belle endormie, pas de celle qui crêche du côté du bois dormant, non, de la vraie en chair et en os (pas trop), j'en aurais rien à branler des sarrasins, des anglais (y'avait toujours des anglais dans nos batailles), des zennemis... Je m'égare !
Tôt, trop peut être car ça m'a joué de mauvais tours au lycée où avant 68 c'était absolument politiquement incorrect de faire de la politique, j'ai été de gauche, à gauche gauche toute même. On pourrait dire anar et Bonnot, Raymond la science et ses potes furent même un temps des hôtes intérieurs qui m'avaient fait réfléchir au problème de la violence, de la violence en politique... Donc, je dis ça car le sang bleu m'insupporte au plus haut point. J'aurai quand même pas voté la mort du roi comme son Jean foutre de cousin, non, faut pas exagérer quand même, mais j'aime pas les titres nobiliaires. Seul le grade de chevalier trouve grâce à mes yeux. Je serai toujours amoureux des chevaliers...
Tout à l'heure je me suis assis dans ce square de Dax où je suis passé un bon million de fois, ce, depuis des lustres, mais jamais assis. J'avais besoin de m'arrêter, de réfléchir un peu, de ressasser un brin, un brin fiu, ne sachant trop que faire, il faisait doux et j'avais du temps dans cette belle après-midi... Je me suis senti alors très vite observé. Ce n'était pas des yeux de chair mais des yeux de pierre qui portaient leur regard sur moi. Enfin, j'ai eu cette impression bizarre. J'étais devant la statue de Jean-Charles, chevalier de Borda. Je le connais l'oiseau, tous les dacquois le connaissent. On le connaît sans le connaître. Il fait plutôt partie du paysage. Il m'a toujours plu et je ne le connaissais pas. J'ai toujours trouvé que son prénom lui allait bien, que son nom était beau. Mais je ne savais rien de lui, à part l'existence dans la cité thermale d'une société savante installée depuis toujours, désuette, comme certaines vitrines et autres madeleines de Dax et qui porte son nom, cette statue aussi, devant laquelle je ne m'étais jamais arrêté...
Je suis rentré chez moi et j'ai regardé d'un peu plus près. Internet. Dérouler des fils d'histoire, j'adore ça. Attendre un demi siècle de ma vie pour faire certaines choses. Incroyable !
J'ai été subjugué par ce que j'ai découvert sur mon cher chevalier. Ce fut un savant, un homme d'esprit, un brin militaire, beaucoup marin - commandant de flotte - complètement savant, il a fait plein de trucs dans sa vie, plein. Tout plein.
Il a participé à la guerre d'indépendance étasunienne. Il a navigué, bourlingué, cartographié, étudié des systèmes de navigation, physicien il a travaillé sur la résistance des fluides, membre de l'Académie des Sciences son nom est inscrit dans l'acier de la Tour Eiffel parmi les soixante-douze plus illustres savants de la France, un astéroïde et même un cratère de la Lune portent son nom. Il a même inventé un système de vote utilisé encore actuellement l'Académie des Sciences, par le parlement slovène ou par les ligues majeures de base-ball nord-américaine pour désigner le meilleur joueur de l'année ! Il est incroyable notre chevalier dacquois.
Je retournerai m'asseoir dans ce petit square un jour prochain. Le remercier de m'avoir donné autre chose qui fera que j'associerai désormais - avant tout - Dax à ce cher chevalier dont le nom inscrit en lettre de gloire sur la Tour Eiffel et dans les espaces intersidéraux brille à mon sens bien plus que ce que l'on associe hélas trop souvent à ma chère ville de Dax : Rugby testeronnisé hyper professionnalisé & fiesta d'août & bandas & et autres corridas assassines... Merci Jean-Charles, Chevalier de Borda !