Mortelle Braderie – Chapitre 1 (écriture en live)

Publié le 01 septembre 2012 par Paumadou

Samedi 01 septembre 2012

Mortelle Braderie – Chapitre 1 (écriture en live)

Lille. Premier Week-end de septembre. Comme tous les ans, la ville s’éveille après un long mois d’assoupissement. La rentrée débute toujours par la braderie, grand étalage de tout et n’importe quoi. Depuis le Moyen âge, lorsque les valets eurent le droit, une fois par an, de descendre dans la rue pour vendre les vieilles affaires de leurs maîtres et se faire ainsi un peu d’argent pour leurs vieux jours (ou leurs beuveries de fond de taverne), la ville se transforme en une immense foire au déballage.  Une foire franche, sans droit ni redevance. Premier arrivé, premier servi. N’importe qui s’installe et vend n’importe quoi, à n’importe quel prix. Une débauche de violence et de crimes pour qui doit assurer l’ordre.

Heureusement pour lui, l’inspecteur Henri Lefèvre, bien trop occupé par son histoire de suicides (*), avait été exempté de la corvée de maintien de l’ordre. Jules, lui, était affecté à un carrefour obscur afin d’empêcher les voitures de pénétrer dans le périmètre interdit, rôle ingrat qui consistait à rester debout, en uniforme, et à renseigner les touristes étrangers sur les lieux intéressants à visiter. Les voitures, elles, se gardaient bien d’approcher de la ville.

Le rituel immuable pour tous les habitants commençait le vendredi soir, lorsque les bradeux cherchaient le meilleur emplacement. Depuis une bonne semaine déjà, ceux-ci étaient occupés. Les retardataires erraient toute la nuit et finiraient par se poser dès les premiers rayons. Puis, la course commencerait. En même temps que le commissaire, qui se préparait  pour le semi-marathon depuis des mois, qui courrait en moins de 4h24 et n’arriverait pas dernier cette fois, les flics iraient à la poursuite des pickpockets et des touristes bourrés dès 10h du matin. Officiellement, la braderie commencerait lorsque le dernier coureur franchirait la ligne d’arrivée. Ligne d’arrivée qui avait le défaut de se trouver en zone hostile : avant de la franchir, il fallait franchir une des plus longues artères bradeuses de la ville. Ce n’était pas un semi-marathon, mais un cross. Surtout pour ceux, comme le commissaire, qui arrivaient bons derniers et que même les organisateurs et les flics chargés d’encadrés la course avaient oubliés. Les bradeux s’en fichaient, l’argent était roi et jusqu’au lendemain soir rien ne pourrait les faire s’attendrir sur les malheureux qui s’étaient perdus en route.

Ce matin, Henri Lefèvre aurait dû boire son café en observant les marathoniens du haut de sa fenêtre… Mais regarder tous ces cons courir le fatiguait. Il préférait rester au lit à récupérer de son insomnie nocturne.  Cette histoire de cadavres tombant comme des mouches le hantait. Il priait juste pour que son téléphone ne sonne pas. Pas ce matin.

Un petit air entraînant, choisi par Louise qui le trouvait parfaitement adapté à l’interlocuteur, résonna dans la pièce. Lefèvre marmonna un truc ressemblant à « vach… » sans doute exprimant ainsi son désir d’obtenir un nuage de lait dans son café. L’air se tue, puis reprit quelques secondes plus tard. Il décrocha.

« Jules, je dors, rappelle lundi. »

 Badibadoum, badibada, U-neux vi-o-lett-eux…

« QUOI !

- Rien, chef, rien. Je… je veux pas vous déranger…

- Alors pourquoi t’appelle ? Il est que… »

Relevant les yeux vers l’affichage lumineux du réveil, il vit les chiffres rouges de celui-ci l’observer avec leur gros yeux ronds…

-… midi… Putain, Jules, on est samedi…

- Oh, c’est rien, chef. Jusqu’on a besoin de vous, on a trouvé un cadavre.  »

La notion de « rien » était pour Jules Ravier quelque chose de particulièrement floue. Tout comme la notion de priorité, ou de hiérarchie. Provoquer la mauvaise humeur de son supérieur direct était beaucoup plus grave que de devoir faire face à un type étalé sur un trottoir, mort. Mais Ravier n’avait en fait  pas vraiment tord : le mort ne pourrait pas lui crier dessus pour l’avoir réveillé un peu trop tôt un samedi matin. Henri Lefèvre, si.

 » Encore ?

- Non, c’est pas un des autres. Lui il a été poignardé.

- T’es sûr ?

- Ben oui, il a encore le couteau dans la poitrine. D’ailleurs, faudrait que vous veniez assez vite, parce que ça commence à être flippant, avec tous ces gens autour.

- Tous ces gens ? T’es où ?

- Boulevard de la Liberté, à côté de la préfecture…

- T’es tout seul ? Mais où sont les autres ?

- Ils sont tous partis applaudir le boss, je crois qu’il va bientôt franchir la ligne d’arrivée… je crois qu’il a réussi à doubler les gamins du Baby-marathon… Non, monsieur, ce corps n’est pas à vendre… quoi ? Vous proposez combien ? Ah… euh… faut que je réfléchisse, c’est un bon prix effectivement… »

Jules Ravier, seul officier de l’ordre public, avec un cadavre sur l’une des artères les plus passantes de la braderie… Oh, oui,  il fallait que l’inspecteur Henri Lefèvre se dépêche ou il ne resterait bientôt plus rien du cadavre…

(*) Voir Pluie de Corps aux éditions Numériklivres