L'Afrique aux sarcasmes

Publié le 04 septembre 2012 par Jlk

Où il est question d’Afrique(s) vue de Suisse. À propos d’Après l’orgie de Jean-Michel Olivier, de Mosso de Nétonon Noël Ndjékéry, et de 29, rue de Berne de Max Lobe.

Aujourd’hui paraît Après l’orgie de Jean-Michel Olivier, qui fait suite à L’Amour nègre en recyclant l’un des personnages du roman percutant qui a valu à l’auteur le Prix Interallié 2011.

Cette suite n’a rien pour autant d’une resucée opportune : après le portrait « voltairien » d’Adam le jeune Noir recueilli par deux « icônes » du cinéma multimondial (en lesquels on a pu identifier quelques traits d’Angelina Jolie et Brad Pitt), c’est au récit du parcours de  la jeune Chinoise Ming - fille d’une pauvre ouvreuse de cinéma permanent à Shanghai devenue la « sœur » par adoption d’Adam avant de se faire engrosser par lui et de se retrouver en Suisse dans un pensionnat feutré -, que JMO s’est attaché par le truchement d’un dialogue très efficace entre la jouvencelle et un psychanalyste barjo à souhait. Soit dit en passant, les gens de théâtre un peu réactifs trouveront là une pièce à deux voix bien crue et toute cuite…

Dans les grandes largeurs, Après l’orgie retrace donc les heurs et malheurs d’une jeune fille de notre drôle d’époque, qu’on pourrait dire cherchant à se libérer de la (trop) fameuse libération. Le conte moral est heureusement grinçant à souhait. On n’est pas loin, la somptuosité du style en moins, de L’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam, chef-d’œuvre à relire. On n’est pas loin non plus du regretté Gore Vidal dans le mémorable Duluth (gorillage carabiné de la série télévisée Dallas). Comme Gore Vidal, il y a en effet du moraliste sarcastique chez JMO, qui brasse la matière du réel-virtuel contemporain, et son langage à haute teneur publicitaire, pour en tirer une substance romanesque à gros traits en somme appropriée à une réalité caricaturale en elle-même.  Il n’est que de citer le protagoniste de l’orgie finale, en Italie, surnommé « papi », en lequel on reconnaît évidemment le clone romanesque de Berlusconi, qui engage par ailleurs Ming en qualité de ministre… Tout cela relevant, une fois de plus, de la narration largement parodique évoquant un certain cinéma américain indépendant, les observations d’un Bret Easton Ellis ou, plus près de nous, la charge corrosive à la belge du film C’est arrivé près de chez vous…

 

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La matière et le ton, mais aussi la forme de L’Amour nègre et d’Après l’orgie ont introduit, dans ce qu’on appelle la littérature romande, des traits et une énergie narrative peu communs chez nos écrivains si l’on excepte quelques tempéraments portés au sarcasme, de Gaston Cherpillod à Yves Laplace, ou de Jacques Chessex à Antonin Moeri, notamment.

Notre ami Quentin Mouron a parlé récemment un peu vite, entraîné par son tempérament à lui de piaffant poulain, en réduisant la littérature suisse de langue française à une ode champêtre (plus quelques clichés alignés dans les médias qui ne demandent que ça), relançant le sarcasme d’un Dürrenmatt à l’endroit de la poésie romande comparée à une « rose bleue », visant les sublimités spiritualisantes d’un Gustave Roud ou d’un Philippe Jaccottet.

Rosserie injuste mise à part, il n’en reste pas moins que le « complexe d’Amiel », mélange d’impuissance coupable sur fond de spiritualisme calviniste, et ce qu’on a appelé « l’âme romande », ont du plomb dans l’aile, et tant mieux peut-être ? En tout cas je me réjouis, après lui avoir gentiment tiré les oreilles en passant, de saluer en Quentin Mouron l’un des jeunes auteurs les plus talentueux de la relève littéraire non seulement romande mais francophone, au même titre que Joël Dicker dont le deuxième livre à paraître ces jours, La vérité sur l’affaire Harry Quebert, pourrait bien accéder cet automne au statut de best seller sans sacrifier pour autant aux standards éculés du genre.

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Dans le foulée, j’aimerais associer à ces auteurs plus ou moins romands (Quentin Mouron a été éduqué dans la forêt québécoise, et Joël Dicker a également vécu aux Etats-Unis), deux écrivains africains établis en Suisse depuis quelques années, où ils ont publié des livres également intéressants et significatifs par leur matière et leur ton : je veux parler du Tchadien Nétonon Noël Ndjékéry, quadra marié à une prof vaudoise et travaillant comme informaticien dans une grande boîte de la région lausannoise, dont le dernier roman, Mosso, jette une lumière crue sur la corruption tchadienne et ses réseaux en nos agreste contrées ; et de Max Lobe, jeune Camerounais de 26 ans dont les éditions Zoé publieront l’an prochain le deuxième roman, 29 rue de Berne, qui détaille avec verve et saveurs le parcours d’un compatriote tiraillé entre sa famille de Douala et le quartier des Pâquis où sa mère travaille avec ses « sœurs » de diverses provenances. Quand on saura que Nétonon a vu de près la guerre civile au Tchad, à laquelle il a consacré d’autres textes, et que Max, titulaire d’un master en management et vivant actuellement les « galères » de la quête d’emploi, se partage entre sa famille camerounaise et la belle-famille de son jeune conjoint grison, force sera de constater que nos auteurs s’écartent un peu des chemins traditionnels du milieu littéraire romand, mais ils ne sont pas les seuls. Du moins le vécu de Max le Bantou et de Nétonon le Tchadien ont-ils partie liée à la vie « en pleine pâte », comme il en va de Ming ou d’Adam, les personnages de Jean-Michel Olivier, lui-même descendant direct d’Urbain le romancier champêtre et de Juste le Vaudois tutélaire...

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Après l’orgie de Jean-Michel Olivier faufile un dialogue aux rebonds épatants, combinant le portrait d’une espèce de cyborg féminin, prototype de la barbarelle qui a tout vécu, tout vu et mangé la vie, selon l’expression de la Dendo de Nétonnon Noël Ndjékéry dans Mosso, et qui ne serait pas moins à l’aise au milieu des dames de l’AFP (Association des Filles des Pâquis) du roman à venir de Max Lobe.

Une composante importante d’Après l’orgie est son humour souvent acerbe voire acide, frisant un cynisme qui est celui-là même du monde actuel, à la fois sans pitié et corseté de postures politiquement correctes. Or le même humour « panique » se retrouve dans le Mosso de Nétonon Noël Ndjékéry, que ce soit par ses charges politiques visant directement le régime tchadien ou dans son portrait d’un bon Vaudois maquillant ses micmacs juteux sous le couvert de beaux sentiments humanitaires. De la même façon, comme il en allait déjà de son premier roman,L’Enfant du miracle, Max Lobe excelle dans la causticité sur fond de révolte ou de tristesse, et cristallise, dans 29, rue de Berne, une kyrielle d’observations aussi pertinentes que drolatiques. Tout cela, à l'instar de multiples nouveaux métissages qui ne vont pas forcémenet de pair avec la perte d'identité redoutée par certains idéologues et autres gendelettres à la Richard Millet - au contraire -, me semble d’une salubrité réjouissante dans un monde où le faux sérieux et l’hypocrisie verrouillent les vérités bonnes à lire…  

Jean-Michel Olivier. Après l'orgie. L'Age d'Homme/Bernard de Fallois, 2012.

Nétonon Noël Ndjékéry.Mosso. Editions In Folio, 2011.

Max Lobe. 29, rue de Berne. À paraître.

Quentin Mouron.Notre-Dame-de-la-Merci.Olivier Morattel, 2012.

Joël Dicker. La vérité sur l'affaire Harry Quebert. Bernard de Fallois/ L'Age d'Homme, 2012.