Le roman français est-il malade ?
Les pensées profondes de MM. Jean-Marc Roberts et Richard Millet. Retour sur quelques réflexions datatnt de... 2007 !
« Les vrais écrivains d’aujourd’hui se comptent sur les doigts d’une main », déclare le romancier et éditeur (chez Gallimard) Richard Millet, dans un entretien annoncé à la une du Figaro littéraire de cette semaine sous le titre : Le roman français est-il malade ? Simultanément, avec La littérature en péril, Tzvetan Todorov vient lui aussi d’établir un bilan catastrophiste, en stigmatisant le solipsisme du roman français contemporain. Mais Richard Millet d’objecter : « Ce sont des généralités : il ne cite aucun auteur dans le champ contemporain ! D’ailleurs, on se focalise trop sur la littérature française, comme si les choses allaient mieux ailleurs. On survalorise la littérature anglo-saxonne : qui sont leurs grands écrivains ? » Et Richard Millet d’écarter un Philip Roth d’un geste dédaigneux, affirmant qu’il « écrit mal », avant de lancer, au nombre des auteurs méritant le salut, un Pierre Bergougnioux, un Régis Jauffret ou une Marie N’Daye…
Dans la foulée, l’autre compère éditeur convié à l’entretien par Paul-François Paoli , Jean-Marc Roberts (directeur littéraire chez Stock), « sauvera » Annie Ernaux et François Taillandier, Agota Kristof ou Vassilis Alexakis, avant de livre ce diagnostic et ce jugement magistral : « Je suis optimiste pour le roman, mais pessimiste sur notre époque qui est antilittéraire. Le pire, ce sont les blogs : non seulement les gens ne lisent plus mais ils ne vivent plus. Interdisons les blogs ! ».
Or donc frères et sœurs, de quoi la littérature française est-elle malade ? Des blogs fauteurs de non-lecture et de non-vie ? Ce serait bien rassurant de le penser, en cette indéniable période d’eaux basses, mais les propos si plats et si généraux de nos présumée grands esprits n’auront pas fait avancer le débat d’un pouce.
Qu’il n’y ait pas un grand écrivain français, aujourd’hui, de la stature d’un Marcel Proust, d’un Louis-Ferdinand Céline ou d’un Georges Bernanos : cela ne fait pas un pli. Mais que Richard Millet vienne nous dire que les vrais écrivains français se comptent sur les doigts d’une main avant de citer, les yeux au ciel, un Pierre Michon ou un Pascal Quignard : voici qui fait gentiment sourire. Comme si des auteurs de la valeur de Michon, de Quignard ou de Taillandier, d'Annie Ernaux ou de Marie N’Daye ne se comptaient pas aujourd’hui par dizaines, sinon par centaines. Richard Millet lui-même est un auteur remarquable, et Jean-Marc Roberts un romancier ès autofictions tout à fait estimable. Mais voici la question qu’ils ne poseront pas: quel romancier français actuel peut-il être comparé, par la substance de ses romans, à ceux d’un Philip Roth qui-écrit-mal ou d’un John Updike, mais aussi à ceux d’un Don DeLillo, d’un Bret Easton Ellis, d’une Joyce Carol Oates, plus encore d’un Cormac McCarthy, entre vingt autres, sans compter les Latino-Américains ou les Nordiques, les Allemands ou les Japonais, l'Israélien AmosOz ou le Turc Orhan Pamuk, le Hongrois Imre Kertesz ou le métèque de Sa Majesté V.S. Naipaul, entre autres représentants des ténèbres extérieures au Quartier latin ? Peut-être les massifs actuels de ces œuvres-là ne se hissent-ils pas au niveau des cimes himalayesques que figuraient celles d'un Faulkner ou d'un Dos Passos, d'un Thomas Wolfe ou d'un Hemingway, d'un Thomas Mann, d'un Joyce, d'un Kafka ou d'un Robert Musil ? Mais comment ne pas admettre que le roman étranger surclasse aujourd'hui le roman français, alors même que la littérature française regorge d'auteurs de qualité, faute daucun romancier de classe internationale ? Et Michel Houellebecq là-dedans ? Précisément: comparez Houellebecq à Roth-qui-écrit mal, à Cormac McCarthy, à Martin Amis-qui-est-méchant, à William Trevor, à Hugo Claus, à Kenzaburo Oé...
Dans le double constat de Roberts et de Millet, la faute est dévolue non seulement aux blogs, ce qui culmine dans le ridicule mais, de façon générale, à la critique. Or s’il est vrai que la critique française référentielle se fait rarissime (et la Suisse romande vit le même étiolement lamentable), comment ne pas voir que ces messieurs les éditeurs sont tout aussi complaisants que leurs pairs critiques dans leurs pratiques de plus en plus soumises au « coup » éditorial et médiatique ? Qu’ils cessent donc de jouer aux purs et, surtout, qu’ils cessent de prétendre que personne ne lit alors que les lecteurs les font vivre…