Je voulais juste parler histoire. Y'a environ cinquante-cinq ans "ça" commence. Je vois mes premiers dessins sur des bouquins d'histoire à l'école. Incroyable émotion, je m'en souviens comme si c'était aujourd'hui. Les instits pas géniaux, je l'ai déjà écrit sur ce blogue, à l'époque ça ne marchait qu'au rapport de force, à la branlée, au savoir qui devait entrer de gré ou de force mais qui devait pénétrer dans toutes les caboches. C'était une question d'honneur pour le hussard noir. Tout est entré en moi par l'image, par le visuel, le sensitif. Pas par la parole, encore moins par les torgnoles.
Je rentre de l'école un midi pour aller manger chez moi, j'ai six ou sept ans, je traverse la place du village. Le marché a eu lieu le matin, c'est un lundi, je le sais car le marché c'était le lundi autrefois à Amou. Les camelots ont replié tout leur bazar, plus d'étals, restent au sol, des épluchures, des papiers, des cageots, des cartons. Mon pied bute sur un carton. Choc ! Pas choc par terre, pas chute, mais choc, tsunami instantané en moi. C'est une boîte qui a contenu du linge, chemise, je sais pas, je sais plus. Je le ramasse, c'est un carton blanc, y'a un dessin, c'est un bateau. Un incroyable et merveilleux bateau toutes voiles larguées. Une phrase barre le carton sur le bas, il est écrit, je m'en souviens parfaitement : "En l'an de grâce 1535, Jacques Cartier à bord de la Grande Hermine découvre la Nouvelle-France". Ce carton avec ce merveilleux dessin je l'ai conservé toute ma vie, il est peut-être encore dans mon bureau-pupitre d'école, au grenier, chez mes parents, à côté. Faudrait que j'aille voir. Ou non. Je ne veux pas (plus) d'un passé pesant ou larmoyant de souvenirs. Le souvenir c'est pas ma tasse de thé. J'ai appris à l'emmerder le souvenir, à ne plus le laisser se coller à ma peau.
Le plus important c'est le choc. Tout a commencé là. L'histoire...
J'ai su ensuite que c'est en 1534 exactement qu'il accomplit son premier voyage le petit père Cartier. J'ai très vite dans ma vie tiré des bouts de fils à défaut de tirer de vrais bords. Le fil c'est le savoir qui te tend les bras. Pas le savoir docte, emmerdant, mais le savoir doux et gentil qui te laisse le caresser dans le sens du poil en ronronnant, en se donnant.
On commence avec des dicos, ça devient vite une passion d'ouvrir un dictionnaire. Avec ma grand-mère maternelle paysanne de Castel-Sarrazin on lisait chacun un dictionnaire le soir à la veillée. Elle, le "vieux" et Dieu sait s'il était vieux son dico et moi, le "neuf". Y'en avait deux à la ferme. Deux dicos et mémé me disait que c'était la lecture de sa vie, avec l'Huma, Nous Deux et Modes et Travaux, les deux derniers un bon cran en-dessous. "Y'a tout" dans un dico me disait-elle. Elle le lisait tous les soirs. Donc, fils tirés d'abord avec du papier, bouquins, dicos, etc. ensuite - aujourd'hui - c'est dans la toile bitique qu'on trouve tout. Le fil se déroule. Il est immense, il fait plusieurs fois le tour de la Terre, peut même monter jusqu'aux étoiles. Tout est offert à qui veut savoir.
L'apprentissage-découverte est passionnant, en tout cas, à moi, ça m'a passionné. Découvrir un truc, un machin, un homme, un lieu, une date, une histoire, a toujours été l'immense bonheur de ma vie. Tout s'est déroulé ensuite dans ma vie d'homme, ma vie d'adulte. Etudes inexistantes, viré de partout, armée à dix-sept ans, etc. mais tout se donne quand on cherche, quand on veut, quand on est curieux, quand on tire des fils pour dérouler cette foutue et incroyable pelote de laine. Ces fameux petits fils qui font de grandes rivières de connaissance et je dis ceci avec la plus extrême humilité.
J'ai dix ans, je m'appelle aussi et en même temps Étienne Brûlé, Jean Nicollet, Médard Chouart des Groseilliers (c'est pas incroyable comme nom !), René-Robert Cavelier de la Salle, et ce prénom : Pierre-Esprit Radisson, Charles Albanel, Jacques Marquette, mes deux chers Louis : Joliet et Hennepin que l'on veut faire passer pour un salaud mais qui canota jusqu'au Mississippi, Duluth, mon cher monsieur de La Hontan auquel je pense à chaque fois que je passe dans son village avec mon VTT, Pierre Le Moyne d'Iberville (salut mon Pieroro d'Iberville), Lamothe Cadillac, monsieur de La Vérendrye... tant encore, tant...
Découvreurs, coureurs d'espaces, dévoreurs de lacs, de cours d'eau, de montagnes, de plaines immenses. J'essaie de reprendre mon souffle, je vous suis tous, vous êtes là, vous m'avez donné ma vie, cet immense amour pour le Québec, pour l'Amérique, que j'ai en moi. L'histoire se construit avec le coeur. D'abord avec le coeur. On peut ensuite l'étudier.
Tout s'apprend, se sait, par le fil tiré. L'histoire, les mathématiques, la musique, l'aviation, la littérature, tout tout tout tout... Tout est là, à portée de mains, de doigts. Faut saisir le fil. Pas avoir de complexes. L'école est utile bien sûr. Tout passe par l'éducation mais l'essentiel d'une vie on l'apprend par le fil tiré. Même si on est un brin ben ordinaire. Même si on n'est pas né avec une cuillère en argent dans le bec.
Tout est dans la passion. L'envie et la passion.
ttp://www.civilisations.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/les-explorateurs/jacques-cartier-1534-1542/
http://www.radio-canada.ca/radio/profondeur/RemarquablesOublies/LJolliet.html