Villalier.
Dimanche 11 septembre 1937.
Ma Germaine aimée,
Chaque soir, quand les faits de la journée se sont envolés, je vous retrouve. Je reprends vos photographies. Je contemple longuement un accent de votre visage dont tout votre être est parcouru, comme votre voix, un oiseau d’air pur caché dans votre joue. Au milieu d’une conversation, je m’interromps, c’est que vous m’avez demandé une pensée : un poids énorme est sur tous les instants que leur médiocrité m’empêcherait de vous dédier. Et les heures que j’aime, c’est l’espoir de vous les faire aimer qui les approche de moi.
…Je veux que nos pensées un jour se reconnaissent dans notre vie sans avoir à rien renverser sur leur passage. Un grand amour forge la vie à son image. Et déjà, je dois une force inattendue au bonheur de me sentir dans tous vos sentiments, imaginé et attendu, je goûte à cette confiance qui est profonde entre nous et pure comme un ciel. Je n’ai qu’à vous revoir pour me sentir sûr d’être aimé.
Un miracle s’est produit entre nous. On dirait qu’au sein de l’Univers que notre séparation met en tiers dans notre amour, votre chair a pris la qualité spirituelle pour que mon esprit enfin puisse me donner à elle.
Confidences, comme vous le voyez, obscures que le temps achèvera d’éclairer, de même que l’espace a commencé à les faire naître. Le rêve où je vous revois, de tout votre corps d’enfant me fait un chemin entre mon corps et moi, et cette guirlande éclatante est en vous comme la conscience du bonheur…
Dans les rêves que je faisais autrefois, un cortège d’horizons et de couleurs accompagnait dans mes caresses l’être exquis dont le visage ne portait pas de nom. Et vous m’avez si profondément uni à vous que les lieux où je vis ont soudain pour mes sens la saveur des paysages où je vous voyais sans savoir que vous étiez vous… Il y a des pensées qui se cachent de moi pour me parler de vous …
Joie, ma chérie, joie infinie. À travers mon amour, c’est une enfant qui est à moi et c’est vous, une jeune fille et c’est vous, et vous êtes devenue jeune fille sans cesser d’être une enfant pour mon amour, et pour voir tout cela j’ai moi-même mes yeux d’enfant.
Joë Bousquet, Lettres à Poisson d’or, Éditions Gallimard, 1967 ; Collection L’Imaginaire, 1999, pp. 66-67.
JOË BOUSQUET
■ Joë Bousquet
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→ Décembre 1938 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or
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