Camille Chaumereuil travaille au festival du voyage d’Albertville et parallèlement, par le biais de son association « Un monde en mouvement » présente son expérience de voyage et sa rencontre avec Pokuza, jeune femme azéri sourde.
Pourrais-tu te présenter et raconter ta rencontre?
Je suis un individu. D’abord. Ensuite il se trouve que je suis une femme et que j’ai 24 ans.
L’un passe avant l’autre car le second ne me détermine pas. Je l’ai décidé.
C’est, du moins, ce que j’espère et que je défends.
Cela n’est bien entendu pas une question strictement personnelle, mais une position, une sensibilité que j’ai pour la condition des femmes, dans le monde.
J’ai eu la chance de beaucoup voyager, étant enfant. J’ai choisi ensuite de poursuivre des cours de sociologie puis d’anthropologie, pour travailler dans la culture. Et me spécialiser plus particulièrement dans l’organisation de festival de voyage ou des cultures du monde.
Cette revendication pour le droit des femmes (qui pour moi ne se pose pas en ces termes mais en terme de droits des individus) et cette passion pour le voyage, se sont réveillées comme une évidence lors de ma rencontre avec Pokuza, jeune femme azérie, vivant dans les montagnes Talish.
Comme un appel à un nouveau voyage…
Raconte- nous alors ton voyage.
Juillet 2011. Je pars quelques semaines en vacances, direction l’Azerbaïdjan. Dans le recoin de ce pays, au bord de l’Iran, de vallées en vallées, j’avance.
Au détour du chemin, les enfants chahutent, jouent au ballon. Un chien passe, un homme s’éloigne. Une jeune femme traverse la petite route de terre. Je la salue. Pas de réponse.
Je la retrouve, plus tard, au pied d’une source. L’ami qui l’accompagne m’apprend qu’elle s’appelle Pokuza, qu’elle vit ici et qu’elle est sourde.
Nous entamons la discussion. Les gestes fusent, se croisent. Elle a 24 ans. Moi aussi.
De cette découverte brillent nos yeux. L’envie de se raconter, de se comprendre.
Elle est vive, gaie, et bien déterminée à ne pas se marier, pas tout de suite. Nous passons l’après- midi à parcourir son bout de terre. Quelques heures. Je repars.
Des études poursuivies, à mon travail, les idées se sont accumulées, parfois annulées, souvent augmentées, rebondies.
De ricochets en ricochets les projets s’amoncelaient.
Il était prévu dans mon travail, des congés sans soldes, de quelques mois. Accordés par mon employeur, pour vivre mes projets.
Décembre 2011. Je repars donc en Azerbaïdjan, dans le seul but de revoir cette jeune femme, que je ne peux prévenir de mon arrivée, ne connaissant ni son nom, ni même celui de son village.
Je la retrouve. Elle accepte.
Pokuza pousse la porte et m’installe.
Elle est désormais une amie. Une femme dont le paradoxe de situation est entier. Une femme que l’on considère ici handicapée, contrainte pour une vie et pourtant plus libre de ses mouvements que ses compatriotes du même sexe.
Durant le mois où elle m’a permis de vivre avec elle, elle m’a invitée à filmer son quotidien. Nous l’avons filmé, ensemble.
L’installation qui en a découlé lui est dédiée. Elle me permettra de tenir ma promesse, et de l’inviter, à son tour, à découvrir mon bout de terre, ici, en France.
Parles-tu azeri ? Comment communiquiez-vous ?
A l’époque, je ne parlais pas un mot d’azéri. En Azerbaïdjan la majorité des gens parlent azéri mais aussi russe, héritage de l’époque soviétique. Et, bien sûr, il y a beaucoup de langues locales.
Je ne parle pas russe. La très grande majorité des personnes rencontrées lors de mon premier et second voyage ne parlent pas un mot d’anglais ou de français. Qu’à cela ne tienne ! Un carnet, un stylo, et nous refaisons le monde !
Lorsque j’ai rencontré Pokuza, apprenant qu’elle était sourde, j’ai essayé de lui parler avec les rudiments de langue des signes française appris quelques années plus tôt.
Le fait est que nous avions tellement envie de nous parler, que nous y sommes arrivées.
Il faut bien comprendre que les langues des signes, qu’elles soient françaises, anglaises, espagnoles etc. sont des langues à part entières, avec des règles de grammaire, des structures à respecter etc. Tout à fait comme les langues « orales et écrites » que sont le français, l’anglais etc.
En France, les personnes sourdes parlent donc leur propre langue (La langue des signes française) et très souvent la nôtre (La langue française) qu’ils lisent, dans les livres, les journaux, mais aussi sur nos lèvres.
Pokuza, elle, n’est jamais allée à l’école. Elle a donc développé, en lien avec d’autres personnes sourdes de son village et de sa région, sa propre langue. Comme une langue des signes locale, un dialecte. En fait comme la langue Talish, parlée par sa famille.
J’ai donc commencé par mimer ce que je voulais lui dire, puis j’ai compris quels gestes elle utilisait pour dire tel ou tel mot, pour décrire telle ou telle action.
Et pour tout dire, durant le mois passé ensemble, il m’a été beaucoup plus facile de parler avec Pokuza, qu’avec sa famille, avec qui, bien que la relation au quotidien ait été facile, je n’ai pas réussi à discuter de tout et dans les détails.
Aujourd’hui j’apprends l’azéri. Cela me permettra de comprendre davantage la famille de mon amie.
Tu as choisi une forme de restitution originale: une installation-vidéo. Pourquoi ce choix?
Cela me trottait dans la tête depuis longtemps. Inspirée des multiples installations visitées ça et là.
L’installation imaginée a évolué. Au départ boîte noire à sensation de voyage, elle s’est transformée en 3 cabines. Dans chacune desquelles, le visiteur est amené à entrer et découvrir quelques instants de vie de Pokuza, de la vie au village, au travail, à la religion.
Chacun est invité également, dans la troisième cabine, à laisser un commentaire, une remarque, une suggestion, une impression, par rapport à ce qu’il vient de découvrir.
Trois cabines ce n’est pas tout à fait un hasard non plus. C’est le début du travail sur le métissage, que je suis en train de mener. A travers trois cabines dans lesquelles le visiteur découvre un film monté en trois images, l’idée est également de se détacher d’une vision « double » des choses : vrai/faux, traditionnel/moderne, authentique/non authentique.
Et tenter d’approcher les individus non plus comme appartenant à une culture figée mais comme bricoleur de leur métissage.
Que signifie « un film monté en trois images » ?
Il faut le croire pour le voir ! Non, en fait c’est simple comme principe.
Lorsque le visiteur entre dans une cabine, il s’installe sur un tabouret, met un casque sur ses oreilles. Le film qu’il a en face de lui est un triptyque. Il voit donc en face de lui, un film « en trois images ».
Tu travailles au Grand bivouac, après des études en sociologie et en anthropologie. Tu as donc réussi ton insertion professionnelle. Quel est ton statut (CDD, CDI…) et en quoi consiste ton travail ?
Je suis en CDI. Nous sommes trois, à l’année, à organiser le festival et d’autres projets s’y rattachant.
J’ai demandé à pouvoir prendre des congés sans solde pour pouvoir réaliser les projets qui me trottaient dans la tête depuis un moment. Ces projets sont toujours en lien étroit avec le voyage, et peuvent donc aussi être intéressants pour le festival.
Pour le Grand Bivouac, festival du voyage et des découvertes partagées, je suis responsable logistique.
Je m’occupe du Salon du Voyage Aventure, organisé à l’occasion du festival. Je le conçois et je suis en contact direct avec les exposants : agences de voyage, artisans, libraires etc.
Il y a aussi dans mes missions tout le volet pratico pratique. C’est-à-dire choisir et louer des chapiteaux, faire en sorte que tous les éléments techniques soient en place, le jour J, pour que la manifestation se déroule pour le mieux, préparer les besoins de tous les intervenants : qu’ils soient artistes, restaurateurs et bien sûr… invités voyageurs.
Le dernier volet de mes missions, enfin, se rapporte davantage à mon parcours en sociologie/anthropologie. Il s’agit de rédiger régulièrement des articles sur le site internet, se rapportant au point de vue des peuples dans le monde. Cela se traduit aussi par d’autres missions temporaires concernant nos festivaliers (enquêtes etc.) et notre positionnement en tant que festival du voyage.
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