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Chroniques d’été – Episode 10

Publié le 16 septembre 2012 par Antropologia

Business class

C’est la première fois. La première fois que je suis assise juste derrière le rideau qui sépare la classe économique de la business class, à l’avant de l’avion. Sur ma droite, de l’autre côté de cette frontière de tissu, une élégante jeune femme aux lèvres délicatement teintées de rose a pris place. Le rideau n’est pas fermé. Envieuse, je la regarde étendre ses jambes. Nous décollons. C’est l’heure du lunch. Les hôtesses servent des plateaux repas à destination des hôtes des premiers rangs. La jeune femme aux lèvres roses ouvre la tablette et reçoit son déjeuner après avoir choisi fish plutôt que meat. Elle délie délicatement sa serviette en tissu pour en délivrer des couverts d’un métal brillant. Les hôtesses traversent le rideau et nous tendent des sandwichs dans un plastique sous vide. Nous autres de la classe économique n’avons plus besoin de déployer nos tablettes. J’ai faim alors je mange avec appétit mes deux tranches de pain séparées par un fromage à pâte dure, après m’être acharnée sur l’emballage plastique afin de l’ouvrir. Jusqu’au moment où la jeune femme aux lèvres roses se retourne. Elle me regarde manger à pleines dents mon sandwich, ses lèvres délicatement peintes esquissent un sourire à mon intention puis elle se retourne immédiatement, l’air gêné. Elle n’a pas touché à sa terrine de saumon, goûte du bout de ses lèvres roses ce qui ressemble à un crumble, en étudiant négligemment le menu. Puis elle recouvre le plateau de sa serviette dépliée, comme pour en cacher le contenu. Je m’interroge : pourquoi cette gêne ? Est-ce l’allure de mon sandwich ou ma voracité ? Est-ce son sourire ou le fait que je n’ai pas eu le temps d’y répondre ? Je pense à l’utilité du rideau lorsqu’il est tiré : le rideau évite la gêne. Quant à moi, j’ai déjà terminé mon sandwich. Comme elle, je veux savoir ce que j’ai mangé, alors je lis ce qu’on en écrit sur l’emballage plastique sous vide : « Nordländerbrot mit Grünlanderkäse ». Ce qui correspond à peu près à un « pain scandinave au fromage des vertes prairies ». En guise de menu, j’étudie la composition du petit pain et m’arrête horrifiée au Distärkeadipat, qui sonne encore plus terriblement dans une langue étrangère. La jeune femme aux lèvres roses s’est définitivement tournée et je ne vois plus son visage. Les hôtesses débarrassent son plateau puis nous tendent un sac poubelle pour y jeter nos débris. Je tapote mes cuisses pour en enlever les miettes en même temps que mon voisin de même classe et nous échangeons un sourire : nous avons partagé le même repas.

Stéphanie Gernet



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