Sur la pancarte là tout en hauteur, les lettres avaient décroché juste comme il fallait. J'ai lu : RAGE A LOUER, suivi d'un numéro de téléphone, et soudain tout est devenu évident. Bien sûr, j'allais appeler. Rage à louer, sur un simple coup de fil, comment passer à côté d'une occasion pareille ? Certains auraient sans doute conclu que le mot initial mal collé sur cette superbe pancarte était "garage", mais je n'y crois pas, non. Je vais appeler, et me louer un petit quart d'heure de rage. Ou plus, peut-être. Un moment minuté durant lequel je hurlerai tout mon saôul, et peu importe qui est à l'autre bout du téléphone, je loue ma rage, je paye deux fois son prix pour qu'enfin elle sorte. Parce qu'elle veut sortir. Moi je sais pas par où elle est censée passer, et voilà que quelqu'un soudain m'offre la solution rêvée. Louer des émotions, peut-être même sans avoir à les éprouver mais ça, c'est un détail, restons à cette idée magnifique et essentielle : louer la rage. Dans tous les sens du terme. Sans se soucier des dégâts à suivre, puisque j'aurais payé pour. Entendre enfin sortir quelque chose de moi qui ne sort jamais, qui me fore jusqu'à l'âme, qui arrivera bien à la plomber même pour l'après-vie. Rage à louer, nom de Dieu ! Excusez-moi, j'ai un coup de fil urgent à passer !