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Max | Quelques heures de printemps

Publié le 26 septembre 2012 par Aragon

quelques-heures-de-printemps-affiche-500d277f00d58.jpgC'est gênant quelques fois "les gueules connues" au cinéma. Faut vraiment que le film soit bon, que l'on y entre de plein pied, qu'on s'y dissolve, pour faire abstraction d'un visage - trop - connu. Car le cinéma, le film, en général, très souvent, c'est l'histoire de quelqu'un de totalement anonyme. Paradoxe obligatoire, c'est comme ça, faut faire avec ceux qui sont "sur le marché".

Lindon a une trombine atypique. Lindon est connu et reconnu. Mais à chaque fois, malgré cet a priori, Lindon m'émeut, me touche grave. Vincent Lindon est un comédien, un acteur, un vrai, un juste. Mes dernières expériences avec lui furent toutes concluantes, touchantes, voire bouleversantes je pense là particulièrement à "Welcome" de Philippe Lioret où il joue le rôle d'un maître-nageur aidant un migrant à fuir vers le Royaume-Uni. Je pense à "Pater" de Cavalier, j'avais énormément aimé le tandem Président & Premier Ministre.

Il revient donc vers Stéphane Brizé qu'il avait accompagné avec "Mademoiselle Chambon" que j'avais aimé et qui avait été un tantinet boudé par la critique.

"Quelques heures de printemps" est à voir selon une formule qui m'est chère "toutes affaires cessantes". Je vais le résumer en cinq lignes ainsi que j'ai dit, y'a pas longtemps, que c'est mon souhait d'écrire à présent. Enfin, je vais essayer, car ce film a touché une de mes cordes particulièrement sensibles : la communication. Si respirer, boire et manger sont vitaux, communiquer est tout aussi vital. J'en sais quelque chose pour commencer à découvrir ce miracle à soixante ans. Ce miracle qui te libère de l'apnée, d'une vie encarcanée, ce miracle qui te fait enfin vivre. Passé ma vie sans communiquer, passsé ma vie avec des parents taiseux, un père qui m'a parlé disons, une grosse heure en soixante ans... Mais c'est pas de moi qu'il s'agit c'est de  ce film de taiseux rédhibitoires, pathologiques.

Il sort de taule, peine purgée pour une micro connerie, se réfugie chez sa mère. Le hic c'est qu'ils sont aussi emmurés l'un que l'autre dans cet espace abominable sans spasmes vivants du coeur, de l'âme. Un espace gris. Il saura même pas voir, dans cette belle séquence du bowling, la fille-solaire qui le voit, qui le remarque, qui lui demande de vivre (magnifique Emmanuelle Seigner). On est dans la maison. Mère-Fils : Leurs regards tentent pourtant désespérement de se voir, de s'apprécier, de s'accrocher, de s'approcher. Des mots sortent par instant. Ils sont toujours rares, lourds, sentencieux, cons (range ta chambre je veux passer l'aspirateur), parfois violents. Des gestes violents aussi : Scène du chien empoisonné, scène du poing levé et stoppé à un centimètre du nez de sa mère. Engueulades, vomissures de bribes de vies qui remontent à la bouche quand l'estomac se tord. Ils ne savent pas parler. Ils n'ont jamais parlé. Ils ne parleront pas, ils sont bouleversants.

Souvent, durant la projection, tordu sur mon siège je leur disais "Mais bordel de merde, parlez-vous, je vous en supplie..." Ils ne m'entendront pas. Hélène Vincent (la maman) et Vincent  Lindon (le fils) ne m'entendront pas. Ils iront jusq'au bout de leurs murs bétonnés, vitrifiés, bardés d'acier. Infranchissables. Si, si... le miracle se produit à la fin du film en un plan-séquence d'une poignée de secondes. Elle est condamnée (l'histoire grosso modo c'est ça), en fin de vie, a décidé de réussir sa mort à défaut d'avoir réussi sa vie. Elle lui demande de l'accompagner en Suisse pour un suicide-assisté. Ils font le trajet en voiture. Arrivent au lieu. Accueillis. Elle boit. Elle fait son geste qu'on a vu plusieurs fois dans le film, celui de s'essuyer les lèvres (la lèvre du bas surtout) avec ce petit geste d'un doigt passé dessus qui referme tout sur lui, qui situe le personnage : fermé et sûr de lui. Le personnage qu'il veut être, qu'il est ...je suis une femme, je suis âgée, je n'ai pas été heureuse dans ma vie, je veux que mon intérieur soit propre, que mon chien ait les pattes propres. Je veux... mon fils... non, je ne veux rien, je ne peux rien... continuer, il faut continuer comme ça... oui, jusqu'au bout... faudra que je porte des compotes à mon voisin, ce cher Monsieur Lalouette (magnifique Olivier Perrier)... Y'a tout ça dans ce petit geste du doigt passé pour essuyer sa lèvre inférieure. Donc, elle prend la potion létale. Scène incroyablement bien réalisée. Chef d'oeuvre de justesse, de pudeur, que la rencontre, la vision des gens de "l'association", de la maison "où ça se passe", de la chambre. Elle prend donc son verre, le boit, passe son doigt sur sa lèvre, attend. Il est assis à côté d'elle. Ils ne disent rien. On passe de l'autre côté en quinze minutes environ. Elle ajuste son oreiller. Attend. Un regard, de côté. Attend. Un autre regard. Attend. C'est alors qu'elle balance tout ce qu'elle a en elle, lui dit qu'elle l'aime, qu'il est son fils qu'elle aime, se jette contre lui et lui, lui, submergé, ravagé par les eaux du barrage qui cède enfin, se jette dans ses bras pour lui dire qu'il l'aime aussi. Qu'il l'aime. Ils se disent qu'ils s'aiment. Et c'est une scène qui aurait pu être casse-gueule qui est ABSOLUMENT juste, totalement forte. Pas de pathos. De la chair, souffle vivant, brûlant d'amour, le coeur enfin dans les yeux, dans les bras qui s'enserrent, dans les lèvres, le coeur jailli à gros bouillon par ces simples mots, de la vie qui passe - encore - des mots. Je t'aime, je t'aime Alain, je t'aime maman. Les mots de l'âme et du coeur. Sur le fil, juste à temps, des mots sont dits. Des mots de vie, oui. Juste à temps. Merde, mes cinq lignes...


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