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Cours libre de Bernard Traimond. Introduction

Publié le 28 septembre 2012 par Antropologia

L’ethnopragmatique.

Mercredi septembre 2012

Le terme d’ethnopragmatique a été utilisé pour la première fois dès 1993 – semble-t-il – par Alessandro Duranti à la page 24 de l’ouvrage collectif dirigé par Jane H. Hill et Judith T. Irvine intitulé Responsability and Evidence in Oral Discourse publié aux Cambridge University Press dans la prestigieuse collection Studies in the Social and Cultural Fondations of Language. Il s’agissait évidemment d’un mot valise qui voulait réunir deux traditions antérieurement séparées, d’un côté, l’anthropologie, discipline à laquelle se rattachaient les auteurs du livre, et de l’autre, la pragmatique du langage, type de linguistique développée à la suite de Wittgenstein et d’Austin.

Cette démarche est également désignée par Eric Chauvier sous le terme d’anthropologie de l’ordinaire, l’ordinaire étant l’ « habitude de mise en forme langagière des pratiques et des événements qui surviennent » (Chauvier, 2003 : 21).

Troisième définition, « la pragmatique étudie les types de relations entre le langage et son contexte qui sont grammaticalisées ou inclues dans la structure de ce langage (Levinson, 1983 : 9).

Ce cours voudrait établir un  premier bilan des recherches publiées depuis un an par C. Milhé, M. Congoste et J. Campagne et de l’expérience menée cet été par C. Milhé.

I – Genèse :

Je voudrais commencer par présenter les raisons du développement de cette anthropologie à Bordeaux. 1) Tout a commencé quand au début de l’été 1995 Alain Ricard m’avait signalé que la nouvelle directrice du Centre de Californie était une anthropologue. Dès son arrivée, j’ai donc pris contact avec Bennetta Jules-Rosette qui dès notre premier contact s’était lancée dans un vibrant plaidoyer de l’anthropologie postmoderne encore décriée en France. 2) Elle parlait à un convaincu car depuis longtemps, à la suite de la publication en livre de poche de Littérature et réalité en 1982, je m’interrogeais sur la validité des comptes-rendus. Pour cela j’avais lu entre autre le Writing Culture de Marcus et Clifford ou les Ilongots de Rosaldo ramenés d’un voyage à Boston en 1995.

3)   En mai 1996, B. Jules-Rosette était intervenue à mon séminaire de thèse et avait évoqué le dialogue avec Cuol de l’introduction des Nuer d’Evans Pritchard. Ce texte a été publié (Jules-Rosette, 1996) et repris par moi-même (Traimond, 2008 : 67), Chauvier (2011 : 9) et au cours du séminaire professionnel du premier festival d’anthropologie le 11 juillet 2009.

4)   La publication d’Anthropologie d’E. Chauvier en 2008 a non seulement donner un écho à la démarche mais tout comme Freud et ses Cinq psychanalyses ou Lewis avec ses Enfants de Sanchez, il a été lu comme une fiction. Cela annonçait le déferlement de publications facilité par la collection Des mondes ordinaires chez Le Bord de l’eau.

II – Paradigmes :

Sur quels paradigmes reposaient ces recherches ?

1 – Le microscopique. Il s’agit de rester à une échelle minuscule où le chercheur dispose de sources de première main. La justification philosophique de la démarche se trouve dans Adorno (2009 : 235) et la vérification pratique chez Auerbach (2000) qui nous fait connaître les auteurs au travers de l’examen de quelques lignes.

Evidemment cela n’empêche pas le lecteur d’élargir les conclusions à des ensembles plus larges mais à ses risques et périls, ce que ne peut sérieusement affronter le chercheur.

2 – La médiation des discours. L’inéluctable dissociation entre les choses et les mots, rend indispensable l’élaboration de médiations langagières en insistant sur les discours des praticiens qui « verbalisent » leurs activités, ce qu’Althabe appelle la « conscience verbale».

3 – La pragmatique propose des instruments pour analyser le discours ainsi enregistré et trouver en son sein les marques des contextes qui l’ont déterminé, cette réalité que nous cherchons. Ainsi il devient possible d’éviter les « sauts périlleux » qui résultent de la rupture entre le monde et les mots.

4 – Enfin, le magnétophone nous propose l’examen de tous les jeux de langage inclus dans les paroles, la musique des mots.

III – Les problèmes :

Les livres de Milhé, Congoste et Campagne et les relations de Bolivie de C. Milhé soulèvent de nouvelles questions.

1 – Les types d’enquête : Il n’y a pas un « terrain » ou une « enquête » mais plusieurs types selon que l’un soit indigène ou pas, qu’on intervienne où que l’on recherche la discrétion…

2 – L’écriture : Nous savons qu’il faut enfin sortir de la monographie et du traité mais peut être que l’attachement à ces genres sclérosés résulte de la nécessité d’échapper à la forme de la fiction car les propos sont si arbitraires et si peu justifiés, que l’expression académique reste la seule marque de la volonté de rechercher le réel.

3 – Preuves et théories : Il est évidemment que nous passons notre temps à chercher à comprendre ce que pensent les autres au moyen de l’interprétation de leurs paroles et de leurs conduites. Le projet est d’autant plus difficile à réaliser que les autres nous parlent en fonction de l’image qu’ils se font de nous. Ce n’est que par l’accumulation de preuves que nous pourrons réduire la part de « fiction » que nous mettons dans les discours que nous tenons sur la réalité.

Pour cela la poursuite des réflexions pourrait s’orienter autour de trois axes :

l  Les formes des enquêtes

l  Les discontinuités

l  Les contextes.

 Sources

MILHE, Colette, Relations de Bolivie, juillet-août 2012.

 Références

ADORNO, Theodor, Notes sur la littérature, Paris, Champs, essais, 2009.

AUERBACH, Erich, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature contemporaine, Paris, Gallimard, Tel, 2000.

CAMPAGNE, Julie. Tu ne m’as pas jetée, c’est moi qui suis partie. Enquête sur les disputes de couples, Lormont, Le Bord de l’eau, Des mondes ordinaires, 2012.

CHAUVIER, Eric, Fiction familiale. Approche anthropolinguistique de l’ordinaire d’une famille, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, Etudes culturelles, 2003.

Anthropologie, Paris, Allia, 2006;

Si l’enfant ne réagit pas, Paris, Allia, 2008.

Anthropologie de l’ordinaire, Toulouse, Anacharsis, 2011.

CLIFFORD, James & MARCUS, George, Writing Culture. Berkeley, University of California Press, 1986.

CONGOSTE , Myriam, Le Vol et la Morale. L’ordinaire d’un voleur, Toulouse, Anacharsis, 2012.

FREUD, Edmund, Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 2001.

JULES-ROSETTE, Bennetta, « L’ethnographie et l’ethnologie indigène. L’histoire, les discours et les paysages de mémoire », Cahiers ethnologiques, n° 18, 1996.

LEWIS, Oscar, Les enfants de Sanchez, Paris, Gallimard, 1964.

MILHE, Colette. Comment le suis devenue anthropologues et occitane, Lormont, Le Bord de l’eau, Des mondes ordinaires, 2011.

ROSALDO, Renato, Ilongot Headhunting. 1883-1974. A Study in Society and History, Stanford, Stanford University Press, 1980.

TRAIMOND, Bernard. Vérités en quête d’auteurs. Essai sur la critique des sources en anthropologie, Bordeaux, William Blake and C°, 2000.

Une cause nationale : l’orthographe française, Paris, PUF, Ethnologies, 2001.

“La faille de Bourdieu”, Le Passant ordinaire, avril 2002.

La mise à jour. Introduction à l’ethnopragmatique, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, Etudes culturelles, 2004.


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