Chroniques de l’ordinaire bordelais – Episode 28

Publié le 30 septembre 2012 par Antropologia

Un repas pour Dieu

Je rencontre Halima en coup de vent. Malgré le désert de la ville en Août, sous la chaleur caniculaire, la bibliothèque dans laquelle je travaille ne désemplit pas. « Venez manger à midi. Je vous attends », me glisse-t-elle à l’oreille avant de prendre sa place aux postes Internet en libre accès de la salle de lecture, ouverte sur la patio de la résidence voisine où elle habite. A la pause déjeuner, je n’ai qu’une demi-heure, je traverse la petite cour, je compose le code secret de la porte qu’elle m’a envoyé par texto, je monte à toute allure les quatre étages. La porte est entrouverte. Je suis attendue. Je frappe discrètement à la porte. J’enlève mes chaussures et commence à m’avancer silencieusement sur les tapis soyeux qui parsèment le sol. Tiger Cat vient se frotter à mes jambes. Halima apparaît et m’invite à pénétrer dans la toute petite cuisine. Là, je vois, un seul couvert posé sur la table. Je m’arrête net. « C’est le Ramadan ! J’avais oublié…Vous ne partagerez pas le repas avec moi ? » « Non, venez vous asseoir. Hier soir, à la rupture du jeûne, j’avais préparé quelque chose de très bon. J’ai pensé à vous, je n’ai pas osé vous appeler à 21h30. Je voulais vous le faire goûter. »  Je m’assieds, en jetant un œil par la fenêtre qui a une vue imprenable sur les toits et les jardins cachés de la ville. Halima sort du micro-onde une assiette de couscous au safran, couleur jaune mordoré. Elle prend un tabouret et se met à mon côté. Tiger Cat me regarde attentivement à l’affût d’un bon morceau. « La chat aussi, il fait Ramadan ? » « Non, mais il a toujours faim ! »  me répond-elle en riant. Je commence à déguster le plat préparé avec soin. Ma voisine me regarde manger avec joie comme si elle se rassasiait en même temps que moi. Pour dessert, elle met quelques cuillères de « Sellou », dans une petite tasse à café, une pâte délicieuse à la consistance poudreuse. Elle contient de la farine torréfiée, m’ a-t-elle expliqué, des amandes et des graines de sésames grillés puis réduits en poudre, du beurre, du sucre et des épices (mélange moulu de cannelle, muscade, anis, cardamome). Sa mère l’a préparée de Fès et l’a apportée à ses enfants en France. Cela se conserve de longs mois. C’est un fortifiant spécial Ramadan car il est très calorique. Il se mange le matin, à la pointe du jour. Au moment de partir, je la remercie. Elle me répond alors comme elle me l’a déjà dit à plusieurs reprises pour ses offrandes : « Ne me remerciez pas. Ce repas, je ne l’ai pas fait pour vous. Je l’ai fait pour Dieu. ».

Marie Braux