Bien assise au fond d’un
fauteuil Adirondack, devant un bon feu rougeoyant qui me rappelle qu’on est
déjà en automne, je sirote un semblant de cappuccino. Sur le bras de bois, le
livre fermé de Sophie Bienvenu, Au pire, on se mariera. Un signet glissé à la page 73.
À me demander si je suis jalouse
de ce bouquin. Du succès qu’il a obtenu peut-être. À être contente surtout de
pouvoir être encore dehors à ce temps-ci de l’année. J’ai manqué des bouts du
printemps et de l’été, des bouts où je devais restée à l’intérieur, où je n’avais
pas le goût d’ouvrir un livre, où je ne voulais rien savoir des histoires des
autres, où je n’avais pas envie de chialer, de me plaindre, de réfléchir,
encore moins de penser. Alors, là je me rattrape, je prends mes deux mains pour
compter mes petits bonheurs.
Et puis, le livre de Sophie
Bienvenu, c’est un plaisir ou il te dérange? J’admets que c’est un plaisir. Moi
qui me targue de vouloir (et à défaut de savoir l’écrire au moins la lire) une
langue belle et toute française, bien construite, exempte d’anglicismes, au
vocabulaire aussi riche que varié, me voilà revenue aux années 1980 quand les
premiers romans de Michel Tremblay ont commencé à paraître : du joual, du
parler, des répétitions des mots « genre » ou « anayway »
au moins deux par page.
Et malgré tout, contrairement à
Michel Tremblay, j’aime. J’accroche. Parce que l’histoire est bonne, elle est
bien menée, la montée dramatique est efficace. Même si je ne me reconnais pas dans le personnage, cette
adolescente qui couche avec le premier venu, qui haï sa mère, qui pose des gestes qui sont à cent lieux de moi, je la trouve vraie,
cette Aïcha. Voire pathétique.
Je l’ai déjà dit, une auteure ne
peut pas lire un livre comme une lectrice normale. Pour oublier que je suis
auteure, pour oublier que j’aurais aimé avoir écrit une telle histoire, pour
oublier que je ne l’écrirai jamais, il faut vraiment que je devienne humble,
que j’admire, que je respecte, que je me laisse aller, que je laisse tomber,
que j’accepte de ne pas être la seule à écrire, ni la meilleure. Ne me demandez
pas non plus de faire la critique d’un livre, je peux tout juste donner mes
impressions et c’est certain que celles-ci seront toujours en lien avec l’auteure
que je suis (ou veut être) et non la lectrice qui s’adonne à son loisir préféré.
En fait, à 19 ans, j’ai osé. Je
me rappelle cette urgence de tout dire. La vérité surtout. Livrée toute crue,
garrochée. Ils ont été publiés ces mots modernes, ces petites phrases courtes, isolées
sur une ligne pour être fortes et efficaces. Des mots que je n'ai jamais relus.
Écrits dans un style que je n'ai jamais repris par la suite. Le genre que
personne ne comprend, que si je les relisais, je ne les comprendrais peut-être
pas non plus. Des mots avec lesquels je voulais me démarquer, mais qui n’ont
ébranlé personne. Des mots oubliés aussitôt publiés, mais que j’avais besoin d’écrire.
Voilà pourquoi — peut-être —
est-ce que j’aime ce petit récit de Sophie Bienvenu (roman ou récit, je ne
partirai pas une polémique sur ce sujet) : il me rappelle que moi aussi j’ai
été jeune, rebelle, irrévérencieuse, amoureuse, rejetée et oh! combien contraireuse.
Et je ne suis plus aussi intransigeante
qu’à 19 ans, alors, je l’admets, j’ai beaucoup aimé ce livre justement parce que
l’auteure a osé m'ébranler. Elle a écrit comme on parle aujourd’hui, ici, au Québec. Et notre langue est celle-là aussi.
(Coïncidence: presque en même temps j'ai lu, en livre numérique, Testament de Vicky Gendreau: même style, même langage, même genre de personnage.)
(Illustration du livre emprunté au site de l'éditeur>>>)