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Le parloir aux oiseaux

Publié le 02 octobre 2012 par Jlk

Notes en Bofane7.jpgchemin (32) Premiers débats ardents avant la pluie battante, le 24 septembre.

Le cafard du corbillard. - L'hymne solennel de la francophonie avait déjà marqué l'ouverture du Congrès de Lubumbashi mais nous avions manqué ça, nous avions manqué Fiston et roulions maintenant à tombeau entr'ouvert dans le 4x4 noir corbillard du Chef du Protocole à faciès de fossoyeur hilare, nous étions tombés du ciel des songes dans la réalité cauchemaresque de la route congolaise où le spectre de l'Accident me semblait déjoué follement par le chauffeur entre déboîtements slalomés et déhanchements zigzaguants, mais curieusement je n'éprouvai aucune anxiété réelle, tout à l'observation des visions quasi surréelles qui se déroulaient en travelling le long des chaussées aux boutiques chamarrées et aux enseignes lyriques, et partout les gens , partout des chantiers amorcés, de bizarres arbres perchés sur des buttes, des femmes portant de hauts paniers en ondulant noblement, et la ville s'annonçant, des terrains vagues et des friches et voici qu'a main gauche notre guide protocolaire nous signalait les bâtisses de l'Administration universitaire avant de bifurquer dans une zone défoncée flanquée de bâtiments décatis aux diverses inscriptions de facultés, enfin nous avions rejoint le Congrès - enfin la délégation suisse se pointait au seuil du grand parloir ouvert aux oiseaux où, tout soudain, une présence intruse se signala dans mes cheveux encore mal démêlés de notre récent vol de nuit, et Max le Bantou de chasser l'importun d'une chiquenaude élégante : bah, mon cher Milou, ce n'est qu'un cafard échappé de la calèche protocolaire, mais vise plutôt là-bas les beaux scarabées !

L'Aréopage . - Plus beaux en effet, plus lustrés, plus étincelants dans leurs costars à rayures et leurs chaussures à reflets, plus dignes et plus fringants que les magisters universitaires africains, jamais je n'avais vu jusque-là et jamais mêlée, surtout, à tant de théâtrale apparence, tant de débonnaireté; et les écrivains nous accueillaient eux aussi tout sourires, plus décontractés en leur apparat, dont j'identifiai quelques-uns rencontrés entre Paris ou Genève et Saint-Malo; et voilà que se présentait ce grand diable de Jean Bofane que depuis trois jours j'avais tant espéré rencontrer...

Voleurs et violeurs. - De nos premiers débats de francophones aux multiples provenances se dégagea, dès ce premier après-midi du parloir aux oiseaux, le thème délicat assurément du vol de la langue et du viol de celle-ci. Les avis étaient partagés, contrastés, aiguisés par la présence de quelques dames se tenant les côtes. Tel estimait que son usage de la langue française relevait d'un indéniable vol, tandis que tel autre objectait que les langues africaines pouvaient se prévaloir d'une antériorité remontant au siècle d'Hérodote ou à de plus haute sources dont le français découlait parfois, et la question du droit de cuissage exercé par l'écrivain fut également l'objet d'un échange peu académique tandis que l'orage y allait de ses arguments grondants.

Or le premier jour des travaux tirait à sa conclusion. Le vent et la pluie à larges gouttes nous circonviendraient bientôt. Je n'en finissais pas pour ma part de m'enchanter d'un peu tout. Nous filions enfin le long d'une route aux boues ocres éclaboussée par les sacs de pluie crevant dans les nuées. Nous nous trouvions comme dans un rêve éveillé sur une chaussée élastique bordée de campements à feux couverts. L'on voyait des silhouettes bouger entre vapeur et fumée. C'était l'Afrique tout cela, me disais-je, mais comment le dire en français ?

Image:In Koli Jean Bofane


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