Lu dans la presse:L'impressionnisme, cette machine à cash-flow

Publié le 02 octobre 2012 par Lauravanelcoytte

LE MONDE |01.10.2012 à 12h34 • Mis à jour le02.10.2012 à 10h34

Par Philippe Dagen

Une vue de l'exposition "L'impressionnisme et la mode" au Musée d'Orsay à Paris, le 24 septembre 2012. | AFP/JOËL SAGET

Longtemps, les peintres impressionnistes ont été pauvres. Vers 1874, date de la première exposition du groupe, Monet, Pissarro ou Renoir vivaient difficilement de leur art. Puis ils sont devenus riches, Claude Monet a pu s'offrir Giverny et Auguste Renoir Cagnes-sur-Mer. Leurs collectionneurs sont devenus riches, eux aussi, à mesure que la valeur des tableaux augmentait. Elle n'a cessé de croître jusqu'à aujourd'hui.


Le Grand Palais l'a systématiquement pratiquée depuis un quart de siècle, enchaînant les rétrospectives – Renoir, Degas, Gauguin, Cézanne, Seurat – et les expositions thématiques qui autorisent à mettre le mot "impressionnisme" dans le titre. En 2010, 913 000 visiteurs sont venus y voir Monet. L'année suivante, la présentation des Monet du Musée Marmottan à la Fondation Pierre-Gianadda, à Martigny, a attiré 233 000 personnes, ce qui en a fait l'exposition la plus fréquentée de Suisse en 2011.

IL IMPORTE PEU QUE LA ROBE SOIT OU NON CONFORME

L'année 2012 ne sera assurément pas celle d'une inflexion dans cette politique de programmation. La crise réduit les subventions culturelles, et donc le Musée d'Orsay, qui présentait au début de l'année une exposition "Degas et le nu", propose à l'automne "L'impressionnisme et la mode". Pendant ce temps, la Fondation Mona-Bismarck met à l'affiche Mary Cassatt, la Pinacothèque de Paris Van Gogh et son japonisme et – en Suisse –, la bâloise Fondation Beyeler les dernières années de Degas.

Ce sont tous des artistes passionnants qui ont laissé des œuvres admirables. "L'impressionnisme et la mode" réunit près de deux cents toiles, parmi lesquelles des Manet et des Degas devant lesquels on reste longtemps pour le seul plaisir d'observer, par exemple, les mouvements courts et nets par lesquels Manet pose des touches de noirs d'une inimaginable variété. Sa Parisienne est une leçon de peinture, et il importe peu que la robe soit ou non conforme aux modèles de 1875, tant la splendeur et la légèreté de l'exécution font oublier ce point subalterne.

"La Parisienne", d'Edouard Manet dans le cadre de l'exposition "L'impressionnisme et la mode" au Musée d'Orsay à Paris, le 21 septembre 2012. | AP/MICHEL EULER

On ne se demande pas plus longtemps chez qui Madame Théodore Gobillard s'habillait devant la toile qu'en peint Degas en 1869. Lui-même ne s'en soucie guère, se contentant de quelques jus bruns pour indiquer une étoffe. Ce qui compte, c'est la pose, le profil, le regard absent et l'indication sommaire d'un miroir : ce qui fait de cette œuvre admirable une variation moderne sur le thème de la mélancolie.

Les portraits de Mademoiselle Dihau, du même Degas, la Nana de Manet, son Repos ou sa Méry Laurent relèvent de l'art du romancier et de celui du moraliste et, s'ils donnent des détails sur les costumes, c'est parce que ces détails aident à préciser la position sociale, le métier ou le caractère du modèle, et non pour tenir une chronique des dernières inventions de la couture. Le vêtement est, pour eux, un ensemble d'indices, comme il l'est pour Zola ou Huysmans. Réduire leurs toiles à de grandes images de mode, c'est en méconnaître la densité et le sens pour n'en garder que le plus superficiel – le tissu sans le corps.

Tout tend à cette simplification. Le principe du parcours est d'une simplicité absolue : placer en regard les uns des autres les vêtements et accessoires du temps et des tableaux dans lesquels sont représentés des robes ou des chapeaux d'un modèle proche, aussi proche que possible. Or, cette proximité n'est avérée que dans les tableaux des artistes les moins intéressants, James Tissot – de ses plates images coloriées, on frôle l'overdose –, Carolus Duran ou Jean Béraud. Ceux-ci reproduisent minutieusement les toilettes, n'ayant rien d'autre à peindre, pas une idée, pas une émotion.

UN BASCULEMENT DU CÔTÉ DU DIVERTISSEMENT

Pour les grands, c'est l'inverse. La toilette n'est que l'un des signes d'idées et d'émotions singulières. En accrochant leurs œuvres sur le même plan, quand ce n'est pas pêle-mêle, l'exposition incite à croire qu'un tableau n'est jamais qu'un rectangle de réalité fixé sur un rectangle de toile : conception terriblement pauvre dont on aurait cru qu'elle n'avait plus cours. Mais le propos, ici, n'est pas de faire réfléchir...

Il n'est pas non plus de rappeler que la société française des années 1880 ne se composait pas exclusivement d'élégantes et de mondaines. Voyez les femmes du peuple de Pissarro et de Van Gogh. Degas, quand il peint la boutique de la modiste, s'intéresse au moins autant aux ouvrières qu'aux clientes, et Zola n'a pas écrit Au bonheur des dames pour faire l'apologie béate du grand magasin. Mais ces questions désagréablement sociales et économiques ont été voilées : il ne faudrait pas déranger la tranquillité des visiteurs par de telles trivialités. Il faut que le spectacle soit parfait pour que le succès soit complet et la recette fructueuse.

Si "L'impressionnisme et la mode" laisse un souvenir dans l'histoire des musées parisiens, ce sera en effet parce que le basculement du côté du spectacle et du divertissement s'y accomplit ici sans la moindre réserve. Un scénographe d'opéras, Robert Carsen – qui sévit simultanément au Grand Palais dans "Bohèmes" –, en a été chargé. Son principe est le plus simple qui soit : la littéralité, l'imitation. Pour évoquer les soirées et les spectacles, sont alignées des rangées de chaises rouges et dorées. Les murs sont revêtus de tapisseries comme on en voit dans les tableaux, au risque d'engloutir ceux-ci. Mais le pire est à la fin. La dernière salle étant consacrée aux tenues conçues pour les jardins et les parcs, son sol est couvert de pelouse synthétique. Les toiles sont posées sur des podiums ronds couleur petits pois écrasés. Quelques bancs publics vert épinard sont disposés dans les coins. Finesse ultime, la bande-son diffuse des chants d'oiseaux. Il ne manque qu'un arrosage automatique.

Voir aussi : notre portfolio La mode vue par les impressionnistes


"L'impressionnisme et la mode". Musée d'Orsay, 1, rue de la Légion-d'Honneur, Paris-7e. Du mardi au dimanche, de 9 h 30 à 18 heures, le jeudi jusqu'à 21 h 45. Entrée : 12 €. Jusqu'au 20 janvier.

Sur le Web : musee-orsay.fr.

Philippe Dagen

http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/10/01/l-impres...

Je précise que cette article n'est pas de moi (lien vers la page citée et si possible son auteur)mais que je suis auteure et que vous pouvez commander mes livres en cliquant sur les 11 bannières de ce blog