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Rendez-vous à Bray : Cycle André Delvaux

Publié le 04 octobre 2012 par Naira
Rendez-vous à Bray : Cycle André Delvaux

« Alors que la France est enfoncée jusqu’au cou dans la première guerre mondiale, Julien, un jeune pianiste luxembourgeois, reçoit un télégramme de son ami, Jacques, engagé dans l’armée de l’air. Le pilote semble lui demander de le rejoindre dans son austère maison de campagne à Bray. Julien s’y rend, attend, et ne voit rien venir. Contraint de passer la nuit dans l’étrange demeure, avec pour seule compagne une gouvernante amorphe, il repartira le lendemain sans aucune nouvelle de Jacques. »

Réalisé en 1971, Rendez-vous à Bray est le troisième long métrage de fiction d’André Delvaux, père du cinéma belge s’il en est (par ailleurs, l’un des fondateurs de l’INSAS). C’est le premier film étranger à remporter le Prix Delluc, soit la plus haute récompense du cinéma français.

A cette époque, André Delvaux a déjà assis sa renommée. Il a tourné pas mal de courts-métrages et de documentaires et s’est lancé depuis peu dans la fiction. Dès son premier film, Het man die zijn haar laat kniepen, il se fait remarquer à l’étranger et prouve que le cinéma belge peut s’exporter.

Consécration française, donc ici, pour cette œuvre adaptée du livre de Julien Gracq ; une adaptation à la Delvaux, s’entend. Car s’il a pour habitude de tirer ses films de livres qu’il a appréciés et dans lesquels il se retrouve, le cinéaste a également le chic d’en faire une œuvre toujours très personnelle, dont la continuité filmographique témoigne de la veine auteuriste de chacun de ses films. Gracq lui-même dira que « nous avons bien à faire à un cinéma d’auteur, inspiré d’une littérature d’auteur ».

Le livre de Julien Gracq raconte donc la même histoire, celle d’un jeune homme qui attend son ami dans une maison peu rassurante. L’ami ne viendra jamais, abandonnant le jeune homme à ses rêveries nostalgiques du temps passé. Le récit se déroule à la première personne du singulier mais Delvaux en fait un personnage à part entière, de lumière et de son. Il choisit un de ses acteurs fétiches, Mathieu Carrière, pour l’incarner et lui donne le nom de Julien (clin d’œil). La servante est jouée par une Anna Karina laconique qui participe pour beaucoup à l’établissement d’une atmosphère étrange.

Car que serait un film d’André Delvaux sans cette ambiance toujours si particulière qu’il arrive à distiller dans ses fictions ? Rien. Le réalisme magique, concept clé de toute l’œuvre du réalisateur flamand, se nourrit trop de ses limbes imagées pour pouvoir s’en défaire sans foutre en l’air toute son esthétique. Ce jeu subtil entre la norme et l’écart, cette leçon d’équilibrisme entre rêve et réalité, ce refus de choisir entre l’un ou l’autre, tout cela fait le réalisme magique de Delvaux et son particularisme aussi extraordinaire.

En vérité, on ne saura jamais si Jacques a bien envoyé ce télégramme, s’il est toujours vivant, s’il a ourdi ce complot, si la servante est de mèche, s’il est mort en avion ou vraiment retenu comme l’annonce le journal du lendemain. Même ce dernier fait, Delvaux s’amuse à le rendre douteux, en ouvrant son film sur une conversation dans un train (élément récurrent de son cinéma) sur le mensonge journalistique. Delvaux sème des indices contradictoires, se plaît à faire pencher la balance, tantôt vers la fabulation onirique, tantôt vers la réalité tangible. Les flash-back décousus et l’étrangeté de la situation déroutent le spectateur, l’obligent à une attente malaisée dont le dénouement paraît de plus en plus incertain. On attend avec Julien. On se souvient avec Julien. On reste perplexe devant le comportement de la servante avec Julien. On frissonne avec Julien. On voudrait partir avec Julien. Mais on reste avec Julien. Jusqu’au bout. Car jusqu’au bout, on veut savoir si Jacques viendra ou pas.

Un bel exercice de style, qui avec trois brindilles parvient à maintenir la fascination du spectateur.

Si vous ne craignez pas d’être fascinés, rendez-vous à Flagey pour expérimenter ce cinéma d’un autre temps. Le cycle André Delvaux s’y déroule encore jusqu’au 31 octobre. Plus d'infos sur le site de Flagey

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