- Eh, tu connais Tacata? demande ma nièce, 8 ans, avec des stars dans les yeux.
Je n’ai pas eu le temps de dire non qu'elle m’a déjà attrapé la main pour aller vers l’ordinateur. Elle s’empare de la souris, va sur Youtube, et lance la "vidéo officielle". Le grand frère, 9 ans, nous rejoint.
- Ah ouais, Tacata !
Les meilleures choses ont un prix : avant la ce n’est pas Tacata qui se lance, mais une pub pour Cocazéro. Heureusement, c'est une de ces pubs qui s'accompagnent d'un bouton "Passer l’annonce". Je m’apprête à cliquer dessus, comme il se doit, quand ma nièce laisse échapper un cri du cœur :
- Non, laisse !
- Mais c’est une pub, dis-je, professoral.
- Ben ouais, j’aime bien les pubs, c’est marrant.
(imaginer ici le gif animé d’un monde qui s’effondre en arrière-plan tandis que je tâche d’effacer discrètement la larme qui me monte à l’œil gauche)
On se demande souvent quel monde nous laisserons à nos enfants. On peut parfois se demander quel monde ils nous laisseront, à nous, quand nous aurons les cheveux blancs et mal aux genoux. Mais ne désespérons pas tout de suite (ma nièce et mon neveu sont formidables par ailleurs).
Dans un geste auguste, très pré-soixante-huitard, j'ai quand même cliqué pour faire taire Coca. La jeunesse allait-elle se révolter ? Eh non, car aussitôt sont arrivés Tacata et ses rythmes endiablés :
Bref. Du tout-venant dance. Pas bien finaud, pas déshonorant non plus. Mais quand même… ça vous a fait ça aussi, cet arrière-goût de pompage éhonté ?
Investi d’un rôle éducatif, je ne pouvais pas laisser passer ça. Ni une ni deux, comme un vrai vieux, je mets Tacata sur pause et j’annonce, drapé dans ma plus belle autorité d’oncle, que je vais leur faire découvrir le vrai Tacata. Celui de quand MOI j’avais 9 ans – sauf que je ne l’ai découvert que bien plus tard. Et sauf qu’évidemment, c’est vachement mieux.
Donc voilà, sans pub ni sample.
Et moi, emporté par la passion : Là, le couplet – c’est pas la même chose, là ? Hein ? Vous entendez ?
Fou que je suis ! J'aurais pu me mettre la jeunesse à dos et discréditer Bob Morane pour une génération... Et pourtant, je pense bien avoir obtenu ce que je pouvais espérer de mieux. Car après dix secondes, peut-être même onze, mon neveu a lâché, laconique :
- Ah ouais, tiens, c’est marrant.
Gloire !
Evidemment, deux secondes plus tard, ma nièce profitant de ma béatitude (ah, le fol espoir de lendemains qui chantent juste) remettait Tacata. Et voilà les deux qui devant l’ordi se mettent à mimer la choré raffinée des danseurs du clip. En se trémoussant ma nièce lance : "C’est nul !", puis elle rigole et avance son bassin en avant. TACATA !
Magique, ce "C’est nul". Plus encore que la coiffure de Nicola Sirkis, je crois que c’est lui qui m’a ramené loin en arrière. D’aucuns auraient hurlé en voyant une gamine de 8 ans se déhancher en rythme devant une vidéo suggestive. Ils auraient eu tort. En entendant ce "C’est nul", j’ai revu la même scène, quelque part dans les années 80, avec une télévision à la place d’un ordi et des couleurs Polaroid, ça n’avait rien à voir mais au fond c’était pareil. Ce rire et ce goût pour le nul. L’apprentissage du premier et du deuxième degré, et leur combinaison qui fait les petits plaisirs inavouables, comme quand Bonnie Tyler s’invite dans mon autoradio.
Bref.
La musique se recycle et l’enfance est éternelle.
S&R, je vous embrasse.