Ernest venait d’avoir soixante-dix ans.
Ernest, c’était son chien, et il avait dix ans en réalité, mais les années comptent septuples pour les chiens. Enfin, ça, c’était avant. Ici, sur Terre 2, peut-être que les années valaient un peu moins, ou un peu plus. Il faudrait calculer en années équivalent terre.
Sombre commença à compter : six ans et cent jours sur Terre, sept mois de voyage équivalent terre, un mois de quarantaine et quatorze jours sur Terre 2, à raison de vingt-huit heures trente-cinq minutes par jour, ça faisait... Et puis zut. Ernest avait environ 70 ans.
Sombre appela le chien qui leva une oreille paresseuse, mais ne fit pas mine de sortir de son panier.
- Allez Ernest, on va se balader !
Ernest s’étira avec application, bailla, enjamba le rebord et chaloupa jusqu’à Sombre.
Sombre ouvrit la porte, resta ébloui quelques instants par la lumière conjuguée de Sol et de Naine puis sortit, le chien sur les talons.
- Ernest, arrête de traîner la patte, ça ne marche pas avec moi.
Ernest portait une prothèse toute neuve en kevlon qui remplaçait sa patte arrière gauche. Sa prothèse fonctionnait bien, mieux même que sa patte restante mais il ne s’était pas habitué à la porter et semblait persuadé qu’il était encore handicapé de l’arrière-train, ceci spécialement quand il n’avait pas envie de sortir, d’ailleurs.
Sombre observa le paysage. Sur la droite, dans le champ familial, de maigres tiges vert d’eau perçaient la croûte sableuse du sol. La récolte de généorge serait faible ce mois-ci, mais il fallait s’y attendre pendant la saison sèche. Devant lui, la surface de la terrasse était traversée par des tourbillons faiblards de poussière rose et lourde.
A environ deux cent mètres de là, l’ombre des néocyprès et des sequacias centenaires et sa promesse de fraicheur attira Sombre qui prit le chemin de gauche. Ernest, qui l’instant d’avant boitait avec application, partit en courant en direction du bois.
- Ernest ? Ernest ! Viens ici ! Tu restes avec moi !
Peine perdue. Le chien avait atteint la lisière et ralentit à peine sa course. Sombre le vit disparaitre dans un bosquet incarnat de sycomores-corail. Il se hâta sur le chemin, sans courir toutefois car cela pouvait attirer l’attention des Trollogs, ces créatures inoffensives en temps normal mais très dangereuses une fois contrariées. Et rien ne les contrariait plus que la fréquence exacte de martèlement émise par la course d’un humain. De nombreux colons étaient morts avant que l’on découvre cela, et courir à l’air libre était désormais interdit par la loi sous peine d’une amende de 25000 Dimes.
- Ernest ? Où es-tu ? Sombre pénétra à son tour dans le bois et entendit un bruit sourd dans un fourré sur la droite du chemin. Il s’approcha avec précaution. Ernest apparut, l’air content de lui, avec dans la gueule l’un des plus gros lynce que Sombre ait jamais vu. Presque comme un lièvre.
- Bravo Ernest ! Sombre se rengorgea. Papa allait sans doute le féliciter, ses néopoules dormiraient plus tranquilles à partir de maintenant. Il attrapa Ernest par le collier, lui mit sa laisse et tenta de récupérer le lynce.
Ernest grogna sourdement et refusa de le lâcher. Tant pis, pensa Sombre, et il prit le chemin du retour pour ramener la proie pour le diner du soir. Il demanderait à maman de le préparer avec des frites de rougefeuille et une sauce au basilthym.
A la maison, Ernest accepta de relâcher le gibier en échange de quelques croquettes. Sombre posa le lynce dans le garde-manger en attendant le retour de ses parents. Puis il s’éclipsa dans sa chambre pour écrire avec application et en majuscules sur une feuille :« ATTENTION : CHIEN MECHANT », à laquelle il ajouta une holographie d’Ernest avec le lynce dans la gueule.
Il scotcha la feuille sur sa fenêtre en xylton triple épaisseur de manière à ce qu’on puisse lire l’avertissement du dehors.
Aucune créature malfaisante n’oserait s’approcher de cette fenêtre.
Ce texte a été composé dans le cadre de mon atelier d'écriture, la proposition était d'écrire un texte commençant par "Ernest venait d'avoir soixante-dix ans", et finissant par "Aucune créature malfaisante n’oserait s’approcher de cette fenêtre".
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