"Cinq trimestres consécutifs de croissance nulle", plus de 10% de chômeurs en fin d’année mais la France, nous-dit-on avec un soulagement non dissimulé, échappe à la récession! Il faut l’entendre pour le croire: n’importe quel économiste en première année d’université sait qu’avec de tels chiffres, il faudra du temps pour résorber la crise. Un zéro bien solitaire pour le taux de croissance, plusieurs en trop pour le chiffre des destructions d’emplois mais un zéro pointé pour une action gouvernementale devenue incompréhensible. Où est la vision? Le souffle? La perspective? A quelques rares exceptions près: Marisol Touraine assurant que "l'hôpital ne doit pas être guidé par la seule logique comptable" ou Manuel Valls affirmant, lors de l’inauguration de la Mosquée de Strasbourg, son "intransigeance" à l’égard de "ceux qui entendent contester la République" ou de "ceux qui se réclament de l'islam et représentent une menace grave pour l'ordre public et qui, étrangers dans notre pays, ne respectent pas nos lois et nos valeurs". Pour la ministre de la santé comme pour celui de l’intérieur: des phrases claires, programmatiques, audibles.
Pour d’autres, au contraire, c’est du "court-termisme" désordonné, de l’affichage médiatique et de la réactivité frileuse avec, pour seul horizon semble-t-il, les échéances électorales de 2014. En témoigne l’instrumentalisation ad hoc de la politique territoriale: l’abandon du remplacement pourtant souhaitable des 6.000 conseillers généraux et régionaux actuels par quelque 3.500 conseillers territoriaux siégeant à la fois au département et à la région. Ou fiscale: à peine ébauché, le projet de taxation des plus-values de cession d’entreprise est amendé par ceux-là mêmes qui venaient de le rédiger. Un "rythme et une méthode de fonctionnement choquants" qui ne "respectent pas le travail parlementaire" s’est plaint le rapporteur général socialiste de la Commission des Finances de l'Assemblée nationale, au lendemain des concessions accordées aux entrepreneurs par le Ministre de l’Économie Pierre Moscovici sous la pression du mouvement des "pigeons". A qui le tour demain?
Des parlementaires peut-être pas les mieux placés pour donner des leçons comme l’illustrent leur arrogance à défier le gouvernement sur la question du non-cumul des mandats, leur décision ridicule -si elle n’était pas provocante- de seulement baisser de 10% le montant de l'indemnité pour frais de mandat ou leur rejet d’un amendement destiné à faire payer aux salariés d'EDF et GDF, 50% de leur consommation, au lieu de 5% à 10% aujourd'hui. Des grèves dans le secteur de l’énergie seraient, on le devine, politiquement suicidaires.
Ce n’est même pas la chute vertigineuse de la popularité du président de la République ou celle de son premier ministre qui inquiète. Mais la perception par l’opinion publique des maux à résoudre de la société française. Maux à propos desquels un élu socialiste reconnaissait récemment "ne pas savoir par où commencer". Dans ces conditions, comment faire agréer par tous -et surtout par les plus jeunes- la Loi symbolique, celle qui n’a pas besoin d’être votée pour se faire respecter, si tendent à se multiplier les exemples de ses exonérations et de ses iniquités. Voire de ses déviances? "La loi est ce que fait le père", disait Freud en 1912. Les flics ripoux de la BAC de jour nord de Marseille ne sauraient à eux seuls entacher la probité et le dévouement de toutes les forces de l’ordre. Quels magnifiques arguments toutefois offerts à ceux qui n’attendent que le prétexte de ces forfaits pour la refuser.