Ce matin-là, c’est la sonnerie du téléphone qui me réveille. Ce n’est pas la bonne, celle que j’avais programmée à 8h40. Non. C’est la sonnerie du téléphone fixe. Je ne réponds pas. Il est 11h et je suis officiellement en retard pour mon cours de Sociologie des médias. À quoi bon m’y rendre ? Une seconde m’a suffit. Je reste pour mettre à profit cette journée : je travaillerai. Revues de presse, lecture et révisions au programme. Mon objectif n’a jamais été aussi clair et à côté la faculté me paraît accessoire. Les écoles de journalisme me semblent encore inaccessibles mais qu’importe, je me battrai.
« Elle a fait un malaise ». La voix de ma mère interrompit le cours de mes pensées. Elle se tient au pas de la porte de ma chambre, elle est pale. Ma jeune sœur s’est évanouie et « n’arrive plus à parler ». Comme la première fois. Cette fois où elle avait « failli mourir ». Cette fois où elle était plongée dans un coma profond mais pourtant loin d’être paisible. Les images refont surface : elle, les yeux clos, qui se débattait pour ne pas subir de ponction lombaire. Son seul signe de vie pendant son long sommeil, hormis sa respiration. Même après son réveil. Elle s’était temporairement enfermée dans un mutisme étrange. Elle nous voyait s’agiter autour d’elle, mais encore aujourd’hui, je doute qu’elle nous regardait vraiment.
J’étais en Terminale. C’était l’hiver. Et je n’étais pas seule. Ils étaient là eux. Mes meilleurs amis partageaient mon quotidien. Ma peine et mes joies… Tous les jours. Ma cheville foulée et ils accouraient : me portaient sur leur dos, venaient me chercher…
À cette époque, il était là lui. Il m’avait tenu la main alors que je m’effondrais dans le même temps que je me reprochais ma froideur. Je lui avais trop rarement dit je t’aime à la petite. Ou à la grande. Ou à ma mère. Je n’aimais pas ces mots, j’en avais peur. Et voilà que la Vie me condamnait. Je m’en voulais avec une violence ineffable. Mais lui, avait su m’apaiser en comblant tous les manques, en s’assurant toujours que tout allait bien et en veillant à mon alimentation régulière.
Mais maintenant, je suis seule. Pour de vrai. Seule d’avoir fait les mauvais choix. Seule de ne pas avoir pu accepter la vérité, de ne pas avoir su admettre les faiblesses. Et si seulement nos ambitions ne nous avaient pas séparés mes amis et moi, je le serais déjà moins. Seule.
Que s’était-il passé depuis ?
Encore hier, autiste, je lui disais de sortir de ma chambre. J’ai passé mon dimanche à dormir sans avoir eu l’occasion de la faire sourire. En ce lundi, les chances de la voir en esquisser un dans un futur proche s’éloignent. Elle ne l’aime pas son sourire. Mais petite sœur, c’est le plus beau qui m’ait été donné de voir. Alors fais un effort et réveille toi. Souris moi encore mille et une fois.