On ne met pas de palissades devant les villes. Enfin, je veux dire, on ne le fait plus. Ronds-points, panneaux publicitaires et centres commerciaux, centres industriels, voilà nos frontières urbaines. Or je suis devant tout autre chose, aujourd'hui. Un mur de bois. Avec ses nervures, ses nœuds éclatés, qui lui donnent l'apparence du vivant torturé. Avec cet étrange fil que l'on a envie de suivre du bout des doigts mais qui s'interrompt, s'étiole, se ramifie en cascades, et alors je sais que je touche là un autre fil, celui d'un autre arbre abattu. Combien en a-t-il fallu, pour élever les palissades ? Et au fait, pourquoi des palissades ? S'il y a mur, il faut qu'il y ait judas. Je vais faire le tour, en suivant mes fils, ils me mèneront bien quelque part. Je refuse l'absurdité d'un mur élevé autour de rien, et d'ailleurs, je m'en souviens, de ce qu'il y a derrière, je me souviens de m'en être souvenue avant d'arriver ici. Donc... donc il y a un avant et un après dans mon esprit, comme il y a un devant et un derrière les palissades. Je suis certaine que je devrais ressentir une légère inquiétude, là, à cette seconde. Mais non. Même pas. Ou pas encore. J'ai trouvé de la temporalité, après tout, de la temporalité, et de la matière physique. Ceci n'est pas un rêve. Derrière les palissades se déroule un spectacle quelconque, elles ne peuvent pas être infinies et même si j'ai finalement accepté l'idée d'absence de porte, ceux de dedans doivent vouloir voir ceux du dehors, eux qui sont bien à l'abri. Tout espoir n'est donc pas perdu.