Il Faut Créer des Liens entre les Hommes

Publié le 18 octobre 2012 par Hugues-André Serres

Il Faut Créer des Liens entre les Hommes

Un Texte Remarquable que je fais suivre iciSaint Exupéry et les Lignes de Forces d’un Cheminement initiatique : Evidemment St Exupéry a bien choisi les titres de ses livres ! … « Vol de nuit », « Courrier sud »… Les mots et les images évoqués ainsi concourent tous à exprimer cette direction unique et essentielle de son message, la ligne de force de toute son oeuvre : la découverte, le maintien conscient et le partage du Mouvement bien ordonné…

Quel message intégral, rappelant le symbole du Serpent Ourobouros de l’alchimie ! Ne pouvons-nous pas résumer ainsi : la ligne de force de son oeuvre, c’est le rappel des Lignes de Forces de la Vie ….

Le voici déjà, lui qui, pionnier de l’aéronautique ouvre des terrains et des lignes d’aviation, de l’aéropostal « la ligne » et autres itinéraires aériens à travers le monde…, comme si ses conceptions, ses intimes pulsions de vie s’incarnaient ainsi dans la matière. Pré-occupation naturelle se « somatisant » pourrait-on dire, en occupation contraire : un couple intérieur-extérieur si souvent antagoniste chez les êtres qui n’ont pas su, ou accepté de, relier déjà leur coeur et leur tête… et dont le métier est douloureusement sans rapport avec leur idéal et leurs souhaits !

St Exupéry a constaté cette nécessité d’incarnation; il l’explique très nettement ainsi :  » Tu ne trouveras point la paix si tu ne te fais véhicule, voie et charroi » (501 Cit.).

Mouvement vers… la « terre des hommes » ; vers la découverte, le maintien conscient et le partage d’ « un sens à la vie« , comme ses autres ouvrages nous le font de nouveau découvrir par leurs titres.

Mais attention ! « Vol de nuit », « Pilote de guerre » : tant de difficultés dans ce cheminement obscur et violent de l’existence ! Il faudra prendre ses distances, voir les choses « d’en haut » : Le cheminement devient alors épreuve initiatique, Cheminement initiatique ; dans le cas contraire le résultat est terrible : « myope et le nez contre, je n’ai rien vu jamais que lâcheté, sottise et lucre. Mais de la montagne où je m’assieds, voici que j’apercois l’ascension d’un temple dans la lumière » ( 504 Cit.).

Ayant lui, pris ses distances vis-à-vis des relativités terrestres, grâce à son avion comme par l’intermédiaire du désert, Saint-Exupéry, comme tous les guides dignes de ce nom, les « voyants », les connaissants de quoi que ce soit, a « vu quelquefois ce que l’homme cru voir » ( Rimbaud ) ; il peut le révéler pour ses lecteurs, pour ses « amis » au sens phonétiquement cabalistique du mot, pour ceux dont l’âme est déjà proche de la sienne…

Qui n’a jamais connu, au lycée ou dans  » les chemins de grand vagabondage« , une telle rencontre, un tel lien intellectuel et affectif, de « coeur » , avec un auteur qui expose pour lui les lignes de force de l’existence, est fort à plaindre ! Qui n’a jamais perçu ainsi, comme Dante : Béatrice et Virgile, comme tant de troubadours : la « Dame » comme tant d’autres : des « stars »- modéles, « une étoile pour guider sa marche », aura beaucoup à peiner, à se fourvoyer pour redécouvrir, solitaire, « ce champ de force qui seul l’anime », qui est  » direction et tendance vers » (417 Cit.).  » tout le monde n’a pas eu un ami  » constate Saint-Exupéry dans le « Petit Prince ».

Des Lignes de Force :

Lui, tout comme il lançait des lignes à travers le désert pour transporter les messages des hommes ( l’Aéropostale ), le voici qui lance, dans tous ses ouvrages, ces « lignes de force« , ces « structures » (373 Cit.) essentielles pour aider dans la traversée d’un désert tant intérieur ( « On ne voit rien. On entend rien » (P.P)  » le désert c’est moi  » ( 183, T.H ) qu’extérieur (  » à mille milles de toute terre habitée »…  » Où sont les hommes » (P.P)).

C‘est bien là ce que tente de faire tout ouvrage initiatique, toute voie initiatique, diamétralement opposée en cela aux romans  » à l’eau de rose », aux récits de cas psychanalytiques et autres ouvrages ( « créations » ou « conseils » ) concluant à la faiblesse inhérente à l’être humain ou à l’ineptie, à l’absurdité de l’existence ; à l’aliénation ( alien )…

Saint-Exupéry affirme bien clairement, lui l’existence de liens :  » Comptent pour l’homme d’abord et avant tout la tension des lignes de force dans lesquelles il trempe  » (372 Cit.). Pas les impulsions des désirs personnels ! Les pulsions soustendant celles-ci : il ne s’agit pas « de cultiver tes désirs. Car si rien ne s’y meut, il n’est point de lignes de force » (373 Cit.).

Ainsi, comprenons-le bien, pas de mouvements vers « le repos du 7eme jour », les « diamants en vrac », « les femmes (qui) se vendent », « l’ île heureuse » qui rendraient l’être semblable au « bétail morne » (373,375 Cit.)… Non ! Le mouvement est en direction des hauteurs de soi-même, de l’origine de soi-même ( sens véritable d’ « initiation » ), vers la « connaissance du noeud divin qui noue les choses » (501 Cit.), vers le Maître du champ des forces, ce point mystérieux que Saint-Exupéry nomme tout-à-tour Seigneur, Dieu (Cit.), Eau, Désert (P.P)…

Il s’explique plus catégoriquemnt à ce sujet :  » Les lignes de force créées doivent te dominer de plus haut pour que tu y trouves tes pentes et tes tensions et tes démarches (…) et ( pour te) rassembler à quelque chose qu’il n’est point de toi de comprendre » ( 374Cit.).

Heureux ceux qui le réalisent et vivent ainsi ! Les autres sont en « exil » – et Saint Exupéry, exilé en Angleterre, incompris de ses amis, calomnié par d’autres ( Cit. Préface ) sait de quoi il parle ! La terre est alors pour eux, comme pour le Petit Prince, un véritable désert … « les grandes personnes (elles), s’imaginent tenir beaucoup de place » (P.P) ; mais celui qui n’est ni mégalomane, comme le roi rencontré par le Petit Prince, ni un vaniteux schizoïde, ni un drogué s’auto-justifiant toujours, ni un « responsable » de futilités, ni un obsédé de travaux inutiles, ni un… « mouton », sera bien vite amené à « ne voir personne » (P.P passim) sur la terre … Il ne rencontrera que ce qu’il cherche véritablement, même si incons-ciemment : un sage renard pour le guider, un Petit Prince qui « réveille » ou un Aviateur en quête, comme lui, de cet « essentiel (…) invisible pour les yeux » (P.P) ; le Maître n’arrive-t-il pas, comme le révèlent aussi bien le Bouddhisme que la théorie des champs morphogénétiques, lorsque l’élève est prêt ? Les  » lignes de force » qui soustendent l’existence ne sont-elles pas toujours présentes, actives et utilisables pour l’être qui ne s’enfourne pas, pour les éviter ou les contrer, dans les « trains » où il va  » bailler », « dormir », pour l’être qui ne cherche pas à faire « des économies de temps » ? (P.P). Et ne sont-elles pas données à l’être dès sa naissance ?

Les familiers du « Petit Prince » ou des héros de  » l’Oiseau Bleu » de Maeterlinck iront plus loin dans ce constat : ils réaliseront vraiment que l’ont puisse « profiter d’ une migration d’oiseaux sauvages », de lignes de forces naturelles pour changer de planète !

Ce sont de solides champs de forces que révèlent toutes les aventures – devenant ainsi épreuves-aides « initiatiques » – relatées par l’auteur,  » des lignes de force dans lesquelles il trempe » ( 372 Cit.), lui, comme tous les êtres humains ou les animaux… Leur solidité de base, leur inné consciemment perçu !

Voilà bien alors pourquoi le Pilote de ligne s’exclame :  » J’ai toujours connu comme tristes les émigrés  » ( 468 Cit. )… Aujourd’hui, ajoute-t-il,  » les hommes manquent de racines » (P.P) car ils les ont quittées pour les « remous contradictoires » de leurs « pentes naturelles », c’est-à-dire de leurs désirs égoïques de leurs  » fausses structures ( qu’ils ) inventent par jeu »… « Ils ont tout désaimanté » ( Et le mot, ambigu dans son double-entendement, maintenu par la langue des Oiseaux sacrée, est fort parlant )  » en défaisant ce noeud divin qui noue les choses » ( 373 Cit.).

Les retrouver, les maintenir, ces coutumes, ces traditions, ces fêtes, ces lois et ce language de l’ « empire » c’est sauver la « citadelle », la « demeure » et ses habitants  » des projets de sable », de « l’effritement des choses » (28,32 Cit.), de l’existence ou l’ont vit « seul, sans personne avec qui véritablement parler » et « tellement triste » (P.P).

« Je t’ai dit qu’il fallait des objets reliés » (Cit.) lance Saint-Exupéry…

Liens dans le Temps :

Reliés avec le passé… liens, par là, avec ce que Saint-Exupéry nomme Dieu, Rose, Renard, Petit Prince, c’est-à-dire lien avec un état édénique que l’on a connu imagé par des êtres, des choses, des mots  » imagerie », « symboles », « concepts » (P.P et C.) qui rappellent, comme  » le blé qui est doré » fera « souvenir ( … ) des cheveux couleur d’or » du Petit Prince et (  » Ce sera merveilleux » ! ) de lui, par conséquent, de son amitié… (P.P).

L‘existence est ainsi ritualisée… et Saint-Exupéry est formel : « il faut des rites. (…) un rite c’est quelque chose de trop oublié  » (P.P) ! C’est un cérémonial « à la façon d’un conte de fées pour ceux qui comprennent la vie », ou, comme tous les « livres de l’enfance, (…) notant tout le long les prières, les concepts charriés par cette imagerie » ( 32 C.) : réitération de légendes au sens étymologique de « liens », une ligne de force qui « charrie » partout et toujours des « vérités » symboliques » ( 32, 143 C.), des  » concepts strictement religieux » (étymologiquement encore : qui relient ! ),  » l’amour, les trésors invisibles, le sacrifice, l’universel » ( 44 C.).

Nous trouvons ainsi : le Puits du Village, le Désert, le Serpent, le Baobab, la Rose, le Volcan, le Petit Prince, l’Avion, les Etoiles, la Maison, l’Eau, dans « le petit prince » et, ailleurs, la Sentinelle, la Jeune Femme criminelle, le Père, les Courtisanes, la Panne, le Berger, le Forgeron ( Cit.v.) …

Tous sont, dans le cheminement initiatique,  » souvenirs d’étapes et d’efforts et de sacrifices » ( 441 Cit.), objets qui rayonnent, comme le « puits dans le désert » d’une « invisible ( … ) beauté », de cet « essentiel ( … ) invisible pour les yeux » mais qui touche « le coeur », « embellit », chante, révèle en fin de compte  » le noeud » entre les choses ( P.P et 175 Cit.).

Il y a en effet, conclut Saint-Exupéry,  » ta présence au travers qui me permet d’y déchiffrer » une construction future, car  » les objets sont vides et morts s’ils ne sont point d’un royaume spirituel » ( 363, 255 Cit.).

Ainsi, on l’aura compris par ces exemples, « les rites sont dans le temps ce que la demeure est dans l’espace  » (29 Cit.) : des images éternelles qui, comme des fils invisibles, me relient éternellement à ma  » vérité (qui) se creuse comme un puits », à ce qui « rassemble », à la « semence » qui fait espérer les moissons et  » se réjouir de la croissance des moissons », aux « assises de la citadelle », à cette Terre que « la corde du puits accouche » et qui « redonne le goût des victoires » (Passim Cit.)…

On demeure ainsi, par ces vecteurs, ces lignes de force entre la réalité profonde originelle et le présent, dans l’intimité et la plénitude, chez soi, dans la sérénité, dans la conscience cependant de la nécéssité de maintenir et cette connaissance, et le processus de création pour les générations futures. Oui !  » tout s’ouvre sur plus vaste que soi » :  » la manivelle rouillée est cantique » ( 82,248 Cit. ), « un puits porte loin… comme l’amour » ( 92 T.H ), et tout objet ainsi resacralisé, relié par cette conscience des Rites fera le même.

Saint-Exupéry nous propose donc de percevoir d’une part LE LIEN ENTRE LE PASSE ET LE PRESENT, POUR LE FUTUR : « seuls vivent ceux qui n’ont point trouvé leur paix dans les provisions qu’ils avaient faites » ; « sauver l’invisible noeud qui lie les choses et les change en domaine, en empire, en visage reconnaissable et familier  » ( 59, 75 Cit.).

D’autre part, LE LIEN ENTRE LE PASSE ET L’ETERNITE :

« Voici que je puis te dire  » la fontaine de ton village » et ainsi t’éveiller le coeur et peu à peu t’enseigner cette marche vers Dieu » ( Cit.)….

Liens Humains :

>> Mais ce sont là , bien entendu, des liens ainsi et aussi entre les hommes : liens entre le Pilote et le Petit Prince, entre le Petit Prince et le serpent ou le Renard (très humanisés !), entre Saint-Exupéry et ses lecteurs à qui il s’adresse personnellement, les priant de lui écrire ( P.P )….

C‘est ce qu’il veut établir car si les hommes « ne savent plus ce qu’ils cherchent », lui, Saint-Exupéry, sait que ce qu’ils cherchent « pourrait se trouver dans un peu d’eau ou dans une rose » : « soyez mes amis », crie le Petit Prince ! « Créez des liens » conseille le Renard, car « il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis » (P.P) ! Il faut donc apprendre à « apprivoiser » : « cela signifie créer des liens« … mais cela peut-il se faire avec des « gens sérieux » qui ne parlent que de « bridge, de golfe, de politique et de cravates » ? ( P.P ) Non ! Il faut « organiser« , « opposer son arbitraire à cet effritement des choses et n’écouter point ceux qui parlent des pentes naturelles » ( 33 Cit.) :  » je les sollicite de m’aider » conclut Saint-Exupéry, comme le renard avait prié le Petit Prince de suivre le rituel de l’approche, des horaires…

« Seuls sont frères les hommes qui collaborent » explique Saint-Exupéry ( 59 cit) ; aussi va-t-il inventer « un empire ou tout soit fervent », soutendu par les forces vives des êtres humains qui doivent s’en ressentir  » dominés » ( 374 cit ). Il les invite à la soumission, ainsi, à leurs intimes moteurs ; non à la passivité ! « les sédentaires de coeur ( … ) qui n’échangent rien ne deviennent rien » affirme-t-il, tout comme Nietzsche ( « tout n’est que passages que Dieu emprunte ») ou Teilhard de Chardin, un de ses auteurs favoris ( « arrière les immobilistes ! La vie n’est que perpétuelle découverte » !)… Eternel message des enseignements initiatiques : Yin et Yang de l’androgynat, Détachement et « extinction de l’extinction » : « Il faut se soumettre pour survivre » mais « il faut lutter pour continuer de vivre » ( Cit.).

Nous le constatons, si nous résumons ainsi son oeuvre par cette phrase synthétique, Saint-Exupéry prône en fait le seul :

Lien avec SOI :

* Lien avec ses racines, car l’être « vaut, dans le désert, ce que valent (ses) divinités » ( 242 L.).

* Lien avec son monde extérieur auquel il confie des images utiles ( « s’ils voyagent un jour ca pourra leur servir » (P.P) des mots d’ordre « urgents » « pour avertir ses amis d’un danger qu’ils frôlaient depuis longtemps sans le connaître », des conseils ( « Ne vous pressez pas, attendez un peu sous l’étoile« ), de justes catalyseurs (« ma maison cachait un secret au fond de son coeur ») (P.P).Voilà bien une nourriture vitale sous forme d’aliments des sens physiques, émotionnels et mental pour qu’elle  » se fasse aliment pour le coeur ») (P.P).

* Lien avec le monde intérieur, avec ce « coeur » pour qui l’eau trouvée dans le désert, la Source de la Vie, est bonne ; avec ce coeur pour qui cette « eau-là » doit être cherchée (P.P), cette eau merveilleuse, cette « bonne eau » de Byron, transfigurée par le don (« la différence réside dans le don (… ) acte de baigner de son amour » ) : dans le lien d’amour au-delà des formes, cet « amour exprimé » (41 C.) seulement là… Car  » quel serait ton bonheur si tu n’avait pas ceux que tu éclaires ? « questionne Niezsche ; l’essentiel du cierge n’est point la cire qui laisse des traces mais la lumière » explique Saint-Exupéry ( 20 cit ).

Lien avec l’Essentiel :

« Quiconque demeure logique tue en lui la vie« … et c’est pourquoi Saint-Exupéry nous avertit que ce lien d’Amour est « mystérieux » : il relie à l’unité ontologique de tout, dans la source initiale où l’Initiation est censée faire pénétrer ; il est ligne de force entre l’homme et le terre-Mère ( « Celui qui épouse le puits épouse la terre » ), entre la terre et « dieu » (« la marche vers Dieu »), Dieu étant dit également  » Citadelle, Epanouissement, Mystérieux Rayonnement », le noeud divin qui noue les choses (363 cit ), le Centre des « liens avec le monde » ( 125 T.H ) : « je te conduirais à l’épanouissement de toi-même » ( 83 C.) à la « drôle de petite voix » qui « réveille » et « qui sait » (P.P) écrit l’auteur en d’autres textes.

Evidemment ce noeud octroie la toute conscience et la toute connaissance : Comment le Petit Prince connaîtrait-il autrement l’existence des moutons, absents de sa planète ? Comment devinerait-il que la panne est réparée ( « Comment sais-tu ? » questionne le pilote ) ou que l’heure de quitter la terre est arrivée ? (P.P).

« On ne voit bien qu’avec le coeur » : mais ce Coeur, Saint-Exupéry ne cesse de la rappeler n’est pas le coeur des désirs !

En cette source même la faim et la soif n’existent pas : le Pilote le remarque bien au sujet du Petit prince qui, de plus,  » ne mesure pas le danger » et ne craint pas la mort !

Ainsi tout le cheminement de l’existence, consciemment vécu, donc en état de « bonheur » (« démarche d’obtenir ») (108 cit.) se percoit comme une remontée par des filières, des lignes de force, des images, des symboles, des héros reliés entre eux par des mythes, des légendes, vers l’ouverture « sur plus vaste que soi« , sur la délivrance qui permet la seule vraie création ( 82 Cit.).

Ces lignes, ces fils lumineux, ces « émanations » Don Juan les a évoqués pour Castaneda au cours du cheminement initiatique de ce dernier ; n’est-ce pas une image similaire que le Christ, à ce que rapportent les Evangiles, utilise pour envoyer ses disciples pêcher les âmes ? « Les noces chymiques » de Christian Rosencreutz ne parlent-elles pas de même d’une pêche à l’homme au moyen d’une corde lancée du sommet de la grotte ou il attend ?…

Saint-Exupéry, en révélant aussi vigoureusement leur présence, réveille et révèle leur souvenir dans la pensée du lecteur, leur présence au coeur des choses les plus anodines ou dégénérées. En leur exposant les lignes de force dont sont issues les « pierres avec lequelles ils bâtissent la haine », peut-être s’en serviront-ils pour « bâtir l’amour » ( 83 cit ), pour suivre les souhaits réels, les pulsions non égocentriques et non les impulsions individuelles ; au-delà, donc,  » des biens en grand nombre (où) il est offert aux hommes plus de chances de se tromper sur la nature de leurs joies » ( 327 cit ) ? Car  » il ne s’agit point de nous ; nous sommes ensemble passage pour Dieu qui emprunte un instant notre génération et l’use » ( 461 Cit.).

Ils atteindront alors à la « perfection de l’état de l’homme« , à cette créativité de la Nature naturante en eux ; de même, « le cèdre se nourrit de la boue du sol, mais la change en épais feuillage qui se nourrit, lui de soleil »… Ainsi replacé en sa juste juste filière originelle, « l’orgueil ( des hommes) devient tour et temple et rempart » de la « citadelle » ; « leur cruauté devient grandeur et rigueur dans sa discipline. Et voilà qu’ils servent une ville née d’eux-mêmes et contre laquelle ils se sont échangés dans leur coeur ». ( 87 Cit.).

La Voie initatique, c’est donc faire « germer et croître » l’être humain ( 372 cit ), mais lui accorder, de plus, la conscience de son action : telle est la plénitude à laquelle l’homme peut atteindre si un maitre du désert (cit) peut le nouer à ces lignes de vie, l’apprivoiser (P.P), le faire « collaborer » (« tous à travers tous et à travers chacun » ( 118,190 Cit )) à l’ « oeuvre » et le rendre « responsable » (P.P) « d’un empire qui n’est pas des choses mais du sens des choses » ( 350 Cit ). L’appel de ce maître:  » Je suis la clé de voute d’un certain goût des choses et je te noue. Et s’en est fini de ta solitude » ( 350 Cit ). C’en est fini alors du « Mozart assassiné », de la « belle promesse de la vie » en l’homme « marquée par la machine à emboutir de la civilisation »… C’en est fini alors « des fourmis pour la vie de la fourmilière » (217, 117 Cit), des feux « sans emploi ni règle » (toujours prêts à éclater comme des volcans longtemps réprimés ). « Bien ramonés » de leurs « connaissances mortes », de leur « ironie de cancre », de leurs liens avec « les biens matériels », de leur « mensonge et « délation », de leur « racornissement » (« hors échange ») (117 Cit), les êtres humains « brûlent doucement et régulièrement, sans éruptions » (P.P)… « grand miracle de la mue et du changement de soi-même » (119 Cit). Ultime épreuve du Cheminement initiatique, si l’expression « soi-même » est justement comprise, non comme entité profonde mais comme entité globale ! Ultime épreuve à laquelle Saint-Exupéry nous convie par chacune de ses lignes dont nous avons tenté de dégager, en quelques lignes, les grandes lignes ! De là, tout commence alors de la vraie Vie où « tous les pas ont un sens » et qui se synthétise ainsi : « je protège celui qui de son aïeul le chanteur hérite le poème anonyme et, le redisant à son tour, y ajoute son suc, son usure, sa marque. Car je suis d’abord celui qui habite (…) et les sollicite (tous ses semblables) de m’aider » ( 28,36 Cit.).

Liens Universels :

Cheminement initiatique, pour Saint-Exupéry comme pour son lecteur, à travers les lignes qui soustendent et rassemblent les images-clefs de tout quotidien ; lignes de parcours « aérien » pour lui comme pour le lecteur ; seulement en densités différentes pour l’un et pour l’autre, suivant le degré d’incarnation ou de simple constat intellectuel de chacun… Voie opérative ou spéculative de l’Alchimie … Préhension ou compréhension pour la future conjonction des deux ; respectivement volatilisation du fixe (solve) ou fixation du volatil (coagula)… réseau de lignes d’aviation ou immense réseau international de tous les passionnés, de tous ceux qui offrent à leurs amis leur livre de chevet, ce « Petit Prince » l’un des ouvrages les plus traduits au monde… Clins d’oeils du billet de 50 Francs, de l’enseigne d’un des cafés ou restaurants  » Le Petit Prince », d’une chanson (G.Lenormand)… lignes sans cesse créées… Invisible « courrier » ( dans le sens « transporteur de messages » )… du « coeur » qui « voit » et qui rayonne ainsi en aide sur le Chemin vers la Plénitude

Lignes de Conduite :

Nous le perçevons bien : toute l’oeuvre de Saint-Exupéry est ésotérique, c’est-à-dire qu’elle contient non un enseignement « caché » mais l’Enseignement de ce qui est caché sous les formes de la nature. Enseignement, donc, initiatique, c’est-à-dire aidant à la découverte, sous ces formes, de  » l’essentiel invisible pour les yeux« , de l’importance des choses au delà de leurs beautés « vides » (P.P), ce que les aveugles, les « sans-coeur » nient, ne l’ayant point perçu et qui, par conséquent, n’est pas un enseignement généralisé ! « C’est pourquoi tu ne sauras point, si nul ne descend vers toi de sa montagne et ne t’éclaire, quelle route à suivre te sauvera. De même que tu croiras point aussi savamment que l’on te raisonne, quel homme naîtra de toi ou s’y éveillera puisqu’il n’y est point encore. C’est pourquoi ma contrainte est puissance de l’arbre et par elle, libération de la rocaille » (298 Cit)…

En cette fin de xxème siècle, beaucoup préfèrent suivre la pente de leurs désirs personnels, refusant « le chef, le maître, le responsable » (36 cit) : et cela se comprend ! « Les jeunes, notamment éprouvent une immense soif de liberté individuelle », traumatisés, castrés, ou voyant les autres l’être, par de « fausses structures » dont « faible et pitoyable est la joie que (l’on) tire » (373 Cit), par la « machine à emboutir » ( 217 Cit)… Les francais, « dans les grandes décisions de (leur) vie tiennent compte avant tout le leur conscience » à 83 % dévoile un sondage du monde (12.05.94) !

Observons  : à ceux qui posent des questions sur les « énigmes », la réponse des « marchands de pilules perfectionnées », des « gens sérieux », « habillés à l’Européenne » (P.P) n’est jamais : « Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé », « On ne voit bien qu’avec le coeur », « les enfants seuls savent ce qu’ils cherchent » (P.P) : Non ! Avec « haine », créateurs de « faux litiges », de « clans, partis, factions, comme des chiens qui tournent autour de l’auge » qu’ils convoitent, car « n’ayant point encore compris (ils) s’indignent » ; ils exposent « leurs mauvaises raisons », « les matériaux de leur vaine justice » (10,83 Cit). Ne sont-ils pas, eux, « soumis aux illusions de leur language », inconscients du « seul patrimoine à sauver », agglutinés qu’ils sont aux « temples auxquels ils tiennent » (297 etc Cit) ? Ils condamnent alors l’attitude « élitiste », voire la « mégalomanie » de celui qui a des réponses simples à tout. D’autres que Saint-Exupéry avaient déja transmis de telles réponses ; d’autres de ces porteurs de lumière, de solutions aux questions humaines vitales ; il fut suivi également d’autres personnages à fonction d’ « ami »-qui-prend-par-la-main (P.P) ( « car le véritable enseignement n’est point de te parler mais de te conduire« ). Certains les nommeraient sans nul doute aujourd’hui, avec dédain, des « gourous », si un phénomène de mode… ou de conscience faisait redécouvrir « en grand » les Gide, les Rimbaud, Georges Sand, etc… qui avaient tenté de véhiculer certaines vérités de base… Et les calomnieraient, leur lançant des traits, des flèches -lignes de tir en contre-offensive de ceux à qui leurs lignes de conduite ou leurs lignes « inspirées » déplaisaient !

« Les calomnies dont il est l’objet… Ses ennemis… « notent les éditeurs de Citadelle : ce sont d’autres lignes de force, celles de « celui qui cherche à connaître ». Celles de Saint-Exupéry sont celles de celui qui « sait que l’esprit seul gouverne les hommes et qu’il les gouverne absolument » et voit « l’arrangement » (388 etc Cit).

Lui, il demeure serein, éternel, rappelant eternellement : « Je t’ai dit qu’il fallait des objets reliés ( ), pour te faire communiquer avec des trésors de plus en plus vastes » (367, 298 Cit ).

Les autres « s’écorchent aux ronces ( ), luttent contre le fouet des rafales » (234 Cit.) ; « leur liberté , c’est la liberté de n’être point » ; On n’est « plus que partage de provisions dans une réalité haineuse », « dans la hargne de (son) voisin, la jalousie de (son) égal, l’égalité avec la brute » (284,285 Cit.).

Non ! Crie Saint-Exupery à longueur de page, à toutes les lignes : « J’espère, moi , que l’on me donne le meilleur. Car, alors seulement, vous voilà grands » (366 Cit). Que l’on crée le meilleur ! « Il s’agit de la soumission, non de chacun à tous mais de chacun à l’oeuvre et chacun force les autres de grandir » ( 153 Cit.).

Pas pour paraître, pas pour gagner de l’argent, de la considération, du pouvoir ; pas pour être mieux dans sa société « fourmilière » ( 117 Cit.) ! Non ! Pour la seule plénitude, la seule force manisfestée pour « inventer un empire où tout simplement tout soit fervent », où tout soit lié par « le noeud divin qui noue les choses » (61,347 Cit) : Au delà du psychologique, du personnel, de la personnalité, de l’ « humain » !

« La perfection » tout simplement ! »

Et « la perfection », c’est l’échange en Dieu » ( 88 cit.)… et c’est l’initiation au sens véritable du mot et du concept !

Sources de cet Article :

- Emmanuel – Yves Monin -
- Revue « Arkologie«  -
http://www.arkologie.com/index.php

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