Le temps se ramasse au fur et a mesure que la bouteille se vide. A tel point que, si proche du
départ, j'ai l'impression de ne pas être parti. Le mélange de la mauvaise vodka au goût sucré d'une
boisson énergétique me donne le hoquet. Tant pis, c'est l'ivresse que je cherche et ça vient.
Ma main tremble sur le clavier, ma mémoire me joue des tours et déjà je ne sais plus si C. m'a dit
"tu vas me manquer" ou si je l'ai rêvé. La vidéo que j'ai prise d'elle, sous les quais de la station
Nationale, est muette et sur les mouvement des ses lèvres aphones je peux coller mille
"je t'aime" imaginés.
Sometimes I feel so happy,
Sometimes I feel so sad.
Sometimes I feel so happy,
But mostly you just make me mad.
Baby, you just make me mad.
Comme je suis triste, j'écoute de la musique triste. Mon manque d'originalité, m'effraie.
Toujours Velvet Undergroud, je m'inquiète de n'être qu'une mauvaise caricature de moi même.
D'ailleurs je crois que c'est "vous êtes nul" qu'elle m'a dit. Oui, "Vous êtes nul de partir".
Sous l'effet de l'alcool, ce souvenir, c'est une déclaration. Demain dans l'avion, ce sera
juste déprimant.
Aux Maldives, on se drogue ? Comment peut on assouvir ses pulsions autodestructrices sur une île
de la taille d'un terrain de football totalement occupé par un hôtel cinq étoiles ? On reprend deux fois
du homard, trois fois de la mayonnaise ? On ce couche sans se brosser les dents ?
J'ai peur de devenir un dépressif sans envergure.
Il manque à la dépression tropicale cette esthétique grise et glacée des ambiances parisiennes où
l'atmosphère des rues glissantes vous force à vous renfermer sur votre solitude. Dans la capitale,
les sourires sont des fleurs coupées qui, déracinées, finissent toujours par fâner.
Elle m'a laissé avec un dernier signe de main quand j'ai pris l'escalator. J'ai fixé la fenêtre du metro
sur le chemin du retour, les yeux rivés sur la ville. En traversant le pont entre Chevaleret et Bercy
j'ai pensé "Il faudra que j'écrive quelque chose la dessus : L'histoire d'un jeune mec qui revient
à Paris après un an en Thaïlande, qui tombe amoureux d'une fille qu'il aimait déjà et qui finit par
prendre un avion. Sauf que dans mon histoire il ne prendra pas l'avion, elle l'en empêchera à la
dernière minute et ils s'embrasseront sous les panneaux d'affichage. En la prenant dans ses bras,
il laissera tomber ses bagages, ce sera magnifique. Après même si c'est un cliché, même si c'est
un mensonge, parce que les avions on les prend toujours finalement, je m'en fous, c'est moi
qui écrit, moi qui décide et puis surtout, c'est à moi que je mens."
Dans la bouteille il reste juste de quoi remplir un verre. Ma tête balance au-dessus du clavier au
rythme du grondement quotidien de Lambchop. Le son sonne creux, la voix distante. Mes doigts
s'égarent entre les touches. Sur ma pile de vêtement, près de mon sac qui reste a faire, une photo
de C. et moi. J'aime croire qu'on n'oublie pas.
Au lieu de me resservir je laisse la bouteille sur le sol, je la garde pour plus tard. Le temps passe
vite, je serai bientôt de retour, sans doute qu'à ce moment la, j'aurais besoin d'un fond de vodka
pour supporter Paris.