Cette semaine était celle du second débat. Virtuellement absent du premier débat, le candidat-président favori des français-qui-ne-votent-pas* est de retour, offrant quelques bons moments aux téléspectateurs démocrates déprimés depuis quelques jours. C’est dans la colère froide que Barack Obama s’exprime le mieux, et c’est dans l’indignation qu’il se montre le plus présidentiel. Mitt Romney lui aura offert de nombreuses occasions de jouer dans ces deux registres, à ses frais**. Un partout, balle au centre. Il reste un dernier débat lundi, consacré à la politique étrangère. Mais seule l’élection semble désormais pouvoir départager les candidats au coude à coude dans les sondages.
C’est ma seconde élection présidentielle américaine. J’avais suivi la première avec la passion d’un français vivant un épisode majeur de la vie publique. J’ai regardé la seconde avec le détachement d’un américain invité à voir des pubs. C’est très différent.
Il y a quatre ans, je me se serais insurgé des positions républicaines sur le droit à l’avortement. J’aurais publié ici dix articles pour moquer les vues radicales des candidats sur la famille, la religion, la patrie, l’immigration, l’éducation ou la santé. J’aurais raillé la politique de défense paranoïaque proposée par tous. Au final, sans l’engouement de la jeune Amérique pour pousser un espoir de changement à la Maison Blanche, l’écoeurement l’aurait sans doute emporté.
Et puis je viens de passer ma sixième année dans ce pays. J’ai appris que Washington ne fait pas l’Amérique. J’ai compris le fédéralisme. J’ai intégré le troisième et le quatrième pouvoir. J’ai parlé aux 45% d’américains qui ne vont généralement pas voter aux présidentielles, et à ceux qui vivent dans un Etat si fortement ancré dans un camp ou dans l’autre que leur vote ne compte pas, ou si peu, aux yeux des candidats. Le soir des élections, on n’attend pas le vote des électeurs de Californie.
L’élection américaine se joue Etat par Etat. 50,01% des votes suffisent à emporter tout un Etat. Les Etats modérés n’ont donc que peu d’influence sur les propos de campagne. Même une déclaration anti-gay et anti-écolo ne suffirait pas à Obama pour perdre la Californie. Même une déclaration pro-gay et pro-écolo ne suffirait pas à Mitt Romney pour perdre le Texas. Une élection américaine ne se joue pas au centre. Elle se joue sur les extrêmes, et c’est une différence fondamentale avec une élection française, par nature plus modérée, parce que chaque voix a le même poids.
Pour gagner, les candidats américains doivent cibler les Etats indécis. Les quelques neuf « swing States » dont l’équilibre socio-démographique est susceptible de pencher d’un côté ou de l’autre. Neuf, sur cinquante. Ensuite, il s’agit dans ces Etats de choquer les électeurs distraits, de capturer leur attention avec une force suffisante pour qu’ils se déplacent aux urnes un mardi, après le travail (on ne vote pas le dimanche aux Etats-Unis). Alors, après quelques centaines de spots publicitaires utilisant toutes les ficelles du marketing pour faire sortir de leur torpeur les électeurs assoupis (la peur, la faim, l’argent, le sexe), un candidat peut espérer faire une différence.
C’est cette débauche de positions radicales que l’Amérique expose au monde. Notre oeil de français s’en trouve effaré par trop de violence, trop d’argent, trop de peur, trop de faim. Et puis un président est élu. Et l’Amérique retrouve son bon sens, son pragmatisme. Ses juges, réellement indépendant de la présidence, veillent au grain de la liberté de penser et de la non-discrimination. Ses journalistes, encore impertinents, veillent à interroger les faits et à dénoncer les faux pas. Ses gouvernements locaux, autonomes sur tant de sujets, veillent à interdire le foie gras en Californie, à autoriser le mariage gay à New York… et peu importe ce qu’en pense le Président.
A bien des égards, le Président que les Américains présentent au monde est différent de celui qu’ils acceptent pour eux mêmes. Car si l’élection se joue sur les extrêmes, le pays se gouverne au centre. Enfin… je crois. Mais sans doute deux élections brouillent-elles aussi un peu le jugement.
* 92% des français souhaitent la victoire d’Obama : lisez cet intéressant article de Pascal Ménigoz sur le point de vue des français d’Amérique (et je ne dis pas ça parce qu’il m’y cite… Quoique, bon… c’est intéressant aussi, quoi…)
** Ceux que les détails intéressent trouveront une large couverture de ce débat dans la presse (entendez « la presse démocrate ») et les émissions satiriques de ces derniers jours. Le débat intégral est également disponible sur Youtube Politics