Chaque concert du pianiste classique, Fazil Say, est une expérience unique (ici à Hambourg en avril 2010). Crédits photo : Angelika Warmuth/DPA/MAXPPP
Avec le procès du pianiste, jugé pour ses propos sur l'islam, la justice turque poursuit son action contre les libertés.
Avec le procès du pianiste, jugé pour ses propos sur l'islam, la justice turque poursuit son action contre les libertés.
Un art libre pour un monde libre. C'est l'un des commentaires que l'on pouvait lire sur les pancartes des protestataires rassemblés, hier matin, devant le palais de justice d'Istanbul. Intellectuels, militants des droits de l'homme ou simples fans: tous étaient venus soutenir le pianiste classique Fazil Say, icône de la Turquie moderne et fervent défenseur des valeurs laïques, lors de son procès pour «atteinte aux valeurs religieuses de l'islam.» En cause? Plusieurs déclarations lapidaires de l'artiste sur son compte Twitter, en avril. L'une moquait un chant quelque peu hâtif du muezzin et suggérait que le religieux devait être occupé par une affaire amoureuse urgente ou un repas arrosé au raki.
Dans une déclaration rapportée mercredi par le quotidien turcHürriyet, Say affirme avoir passé toute sa vie de musicien «à vouloir comprendre la culture, l'histoire et l'esprit de ce pays», dénonçant «une attaque d'autant plus insupportable» qu'il fut l'un des principaux ambassadeurs pour l'entrée de la Turquie dans l'Europe. Il a aussi redit sa conviction profonde que la liberté de pensée et de parole était «un droit pour tout individu». Bien qu'il ait hier rejeté en bloc toutes les accusations, son acquittement a pour le moment été refusé. La prochaine audience est fixée au 18 février.
Un nombre alarmant de procès
Ce procès cristallise les tensions entre le pianiste-compositeur et l'AKP, parti islamo-conservateur au pouvoir. Le bras de fer ne date pas d'hier. Marqué depuis l'enfance par les lectures de son père écrivain, Fazil Say s'était attiré les foudres du ministère de la Culture turc dès 2007, en écrivant un oratorio sur le poète Meltin Altiok, tué lors du massacre de trente-trois intellectuels alévis par des islamistes radicaux à Sivas, en 1993. Un leitmotiv, pour la star du piano, qui a fait savoir sur son site Internet que le titre de son premier opéra, commandé pour 2014 par la Biennale de Munich, festival de théâtre musical très engagé dans la création, serait… Sivas 93. Au-delà du conflit qui oppose ce porte-parole de la communauté laïque à l'AKP, c'est le durcissement des relations entre le gouvernement et les artistes qui inquiète les intellectuels turcs comme l'ensemble de la communauté internationale.
Dans un rapport publié le 10 octobre, la Commission européenne pointait du doigt le nombre alarmant de procès ou d'affaires impliquant des écrivains et des journalistes. Toujours selon le quotidien Hürriyet, une trentaine d'intellectuels turcs se seraient mobilisés pour dénoncer, dans une circulaire, les attaques forcées du gouvernement à l'encontre des artistes. Parmi eux, le baryton Güvenç Dagüstün, la concertiste Gülsin Onay, les comédiens Tarik Akan et Rutkay Aziz, ou encore l'actrice Tülay Günal.
«Fazil Say n'est pas seul», rappelait hier un manifestant à l'entrée du palais de justice. De fait, toujours selon le rapport de la Commission européenne, 2800 étudiants seraient aujourd'hui en détention, la plupart pour des charges ayant trait aux risques terroristes. Mais le cadre légal qui entoure ces charges reste, selon ce même rapport, «imprécis et contient des définitions ouvertes aux abus».
Ces dernières années, le Prix Nobel Orhan Pamuk ou encore le romancier Nedim Gürsel ont été la cible de procès pour insulte à la nation ou non-respect de la religion musulmane. En 2007, le journaliste Hrant Dink avait été abattu à la sortie de son bureau, après avoir reçu des menaces de mort pour avoir dénoncé le massacre des Arméniens en 1915, un sujet toujours très sensible en Turquie. Déjà, à l'époque, Fazil Say avait évoqué la possibilité de s'exiler à l'étranger. Une hypothèse qu'il a remise sur le tapis cet été, en déclarant dans la presse qu'il était temps, pour lui, de s'installer au Japon. Le pianiste y a toujours été accueilli à bras ouverts… Ce qui ne semble plus être le cas dans son propre pays.
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