Jan Van Eyck,l'avant-gardiste européen

Publié le 22 octobre 2012 par Lauravanelcoytte
Par Eric Bietry-Rivierre Mis à jour le 22/10/2012 à 07:20 | publié le 22/10/2012 à 07:11
Crédits photo : Washington DC, National Gallery of Art, Andrew W.Mellon Collection
  •   Le musée de Rotterdam relève le défi de cerner le contexte artistique à partir duquel le jeune maître s'est imposé.

Depuis le XVIe siècle, l'Agneau mystiqueest considéré comme un miracle de la peinture. Ce retable des frères Van Eyck, joyau de la cathédrale Saint-Bavon de Gand, a été révéré par Albrecht Dürer et Jan Van Scorel l'a couvert de baisers lorsqu'il l'a nettoyé en 1550. Pourtant, quoique novatrice, son approche réaliste de la représentation des êtres humains, des paysages et des intérieurs, avec mise en scène de la lumière et des ombres, rendu complexe de la profondeur en perspective et imitation minutieuse des pierreries et des étoffes, n'est pas tombée du ciel.

«Nous voulons montrer comment le mystérieux Hubert Van Eyck, dont on ne connaît que la participation à cette œuvre, et surtout son célèbre frère Jan s'inscrivent dans l'art de leur temps», lancent Stephan Kemperdick, conservateur à Berlin, et son homologue de Rotterdam, Friso Lammertse. Pour cela, ils ont organisé une exposition au Musée Boijmans Van Beuningen.

Un défi terriblement audacieux quand on sait que subsistent dans le monde seulement une petite trentaine de peintures exécutées dans les Pays-Bas durant la fin du Moyen Âge (cent fois plus ont été détruites lors de l'iconoclasme de la Réforme ou perdues au fil du temps). Il a donc fallu faire appel aux formes artistiques voisines: manuscrits enluminés, dessins, travaux d'orfèvrerie, sculptures sur bois, sur pierre ou en ivoire. Et, pour cette période «pré-eyckienne» (1370-1420), chercher dans les trésors de la cour de Bourgogne et ses différents centres flamands, français et allemands.

Formes modernes  et archaïques

Cet ensemble, renforcé de copies anciennes de pièces disparues, est présenté en cercle autour d'un centre consacré à la main ou à l'atelier du jeune Jan. Soit cinq peintures et les deux seules miniatures connues du maître, avec quelques dessins pouvant lui être directement rapprochés. Peu d'huiles? Certes, mais tous des chefs-d'œuvre exceptionnels, puisqu'ils inaugurent le réalisme flamand, un mouvement qui a révolutionné l'art occidental encore plus fortement que, environ quarante ans plus tard, le sfumato de Léonard.

La muséographie incite à la comparaison, et le discernement des formes modernes des archaïques est aisé. Parmi ces dernières, soit quatre-vingts pièces réalisées aux environs de 1400, on découvre notamment le fameux triptyque Norfolk, des petites statues de Jacques de Baerze et Claus de Werve en provenance du tombeau de Philippe le Hardi à la chartreuse de Champmol, ou encore la Vierge à l'enfant avec les angesde Jean Malouel, un prêt de la Gemäldegalerie de Berlin.

Du même Malouel, d'origine néerlandaise, le Louvre n'a pas prêté les deux seules autres compositions connues, à savoir son grand tondo et son Christ de piété, identifié par un brocanteur en 1999 et acquis par le musée en janvier dernier. Dommage, mais justifié, car le Louvre est en train de réinstaller les deux panneaux côte à côte dans l'une de ses salles d'exposition permanente.

Quoi qu'il en soit, la présentation de Rotterdam répond bien à son objectif: mesurer l'avant-gardisme eyckien (soit Jan et son atelier) dans les témoignages précoces que sont laSainte Barbed'Anvers, l'Annonciation de Washington ainsi que les Trois Marie au tombeau, un panneau conservé par le Musée Boijmans Van Beuningen que celui-ci vient de restaurer. Il met, par exemple, à bas la vieille idée que Jan Van Eyck a été le premier à utiliser de la peinture à l'huile.

«Elle était employée dès le Xe siècle et se trouvait alors déjà très répandue, ­assure Friso Lammertse. Nous montrons par exemple leJardin de Paradis, de Francfort. Ce petit panneau, exquis et fourmillant de minuscules détails, est antérieur d'au moins douze ans à l'achèvement de l'Agneau mystique.»

Figurant également dans l'exposition, le portrait de Beaudouin de Lannoy (Berlin) indique l'autre genre, parallèle au sacré, dans lequel excellera Jan Van Eyck. Ce visage sérieux au corps de nain étonne encore à l'heure de la précision numérique: on y observe jusqu'aux poils naissants et aux rides infimes du tour du coin de l'œil.

Jusqu'au 10 février au Musée Boijmans  van Beuningen de Rotterdam. Dix liaisons quotidiennes avec Thalys, tarif culture, www.thalys.com. Cat. en Anglais BVB, 342 p., 39,50 €. Tél.:         + 31 (0) 10 4419 543     + 31 (0) 10 4419 543. www.boijmans.nl

http://www.lefigaro.fr/culture/2012/10/22/03004-20121022A...