La dame aux chats

Publié le 24 octobre 2012 par Neo_igs_police

C’est, parait-il, un grand classique des périodes de restrictions budgétaires : jamais autant d’animaux domestiques ne sont abandonnés qu’en temps de crise. Le vérifier est assez simple. A Saint-Pierre-des-Corps par exemple, il suffit d’observer le va-et-vient des voitures qui s’arrêtent devant ce petit pavillon individuel que les habitants du quartier de la Rabaterie appellent la "maison des chats". Entre 80 et 100 animaux sont ici accueillis en permanence et placés sous l’aile protectrice de la propriétaire de l’endroit, Dominique Guillon, une prof d’anglais de 53 ans au bagout inépuisable et présidente à ses heures de l’association Le Chat provincial 37, créée il y a sept ans. En attente d’adoption, les félins ne vivent pas directement à l’intérieur de la maison de Dominique, mais dans le garage et dans deux cabanes de jardin transformés en chatteries et en salles de quarantaine.

Dominique Guillon, présidente fondatrice de l'association Le Chat provincial 37. © Antonin Sabot / LeMonde.fr

Jusque-là, les locataires étaient moins nombreux l’hiver que l’été – la saison chaude étant synonyme de couvées, donc d’arrivées massives dans ce type de structure. Depuis deux ou trois ans, le refuge affiche désormais complet toute l’année. "Les gens prennent prétexte de la crise pour se débarrasser de leurs chats et les amener ici, tempête Dominique Guillon. Ils disent qu’ils ne peuvent plus assumer financièrement.Cela ne les empêche pas de claquer 100 euros dans un restaurant, plutôt que dans l’achat d’un vaccin. Je trouve que la crise a bon dos…" Environ 600 chats passent chaque année par la petite maison de la rue Blanqui ; 550 trouvent des familles d’accueil.

Ce surplus d’activité met dans tous ses états la maîtresse des lieux. Dominique Guillon peut passer jusqu’à 14 heures par jour à nettoyer les litières, nourrir sa maisonnée (à base de  croquettes livrées par palettes), répondre au téléphone, organiser des visites pour les candidats à l’adoption… Il y a aussi les tests de dépistage à faire (leucose, sida), les tatouages, les vaccins, les stérilisations… Et les invisibles pansements affectifs qu’il faut appliquer à ces mistigris effarouchés et autres matous maltraités. Ici, chaque chat se voit attribuer un prénom en entrant. "Ce ne sont pas des bagnards que l’on parque, appuie Dominique Guillon. Je passe beaucoup de temps assise par terre à leurs côtés. Je m’occupe d’eux, je m’intéresse à eux, je vis à leur rythme."

Le refuge voit passer chaque année 600 chats. Une centaine sont en permanence sur place.© Antonin Sabot / LeMonde.fr

Aucune euthanasie arbitraire n’est effectuée par l’association. Dominique Guillon y tient, elle dont l’enfance à la campagne a été marquée par des scènes de chats tués dans la lessiveuse familiale ou jetés dans la rivière à l’intérieur d’un sac. Son investissement vient de là. Mais aussi d’un indéfinissable "sixième sens", explique-t-elle : "J’ai un feeling avec les chats. C’est à peine exagéré si je vous dis que je me sens parfois comme un félin réincarné en humain. Il me suffit d’un regard avec un chat sauvage pour savoir si je vais réussir à l’apprivoiser." Son seul plaisir est de voir un animal retrouver confiance, lui lécher les doigts et être confié plus tard à une famille d’accueil. "Il y a des moments de bonheur, mais on ne peut pas s’en contenter, poursuit cette éternelle insatisfaite. La détresse animale est incommensurable, c’est un puits sans fond."

La crise ne l’aide pas, donc. Et son mari non plus. Epuisé par les allées et venues des visiteurs impromptus capables d’entrer chez lui sans frapper, ce dernier a demandé à sa femme de trouver un autre local pour son association. Les chats, en revanche, n’énervent pas monsieur.  Le couple en possède 13, à titre personnel.