Dernièrement, je suis allée rendre visite à mon père. Comme il est décédé depuis presque 12 ans, je me suis en fait rendue au cimetière. Il est enterré dans le plus ancien de Lyon, sur la colline de Fourvière. On peut y accéder par un funiculaire, ce que j'ai fait cette fois-ci, accompagnée de mes filles et de mon mari.
Excepté le jour de son enterrement, je n'ai jamais éprouvé de peine en faisant cette sorte de pélerinage. J'y vais car c'est le lieu qui a reçu sa dépouille et je veux qu'il soit fleuri, propre, entretenu, histoire de remplir mon rôle filial mais je suis incapable de faire un lien entre cette tombe avec sa sinistre inscription dessus et la personne qu'était mon père qui continue à vivre en moi à chaque instant.
Je n'ai pas besoin de me recueillir sur sa sépulture pour ressentir le vide que son absence a laissé ou pour me remémorer les jours heureux en sa compagnie. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à lui. Il ne partage plus mon présent mais je sens qu'il continue à vivre à travers moi, à travers mes filles. Il suffit d'un petit rien pour que resurgisse un souvenir de lui que je partage aussitôt avec mes filles.
Elles ne l'ont jamais connu vivant, il était mort avant leur naissance, mais elles ont le sentiment de le connaître malgré tout. Elles savent qu'il m'accompagne dans mon quotidien. A la différence de moi, elles ont besoin d'aller sur sa tombe. Elles me réclament cette visite 2-3 fois dans l'année. Elles le vivent comme quelque chose de joyeux. La dernière fois, elles ont pris des cailloux qu'elles ont disposés sur sa tombe pour former des mots et dessiner un coeur.
Nous n'y allons pas régulièrement mais à chaque fois, nous prenons notre temps. Nous nous aventurons toujours un peu plus loin dans le cimetière armé du plan des tombes des lyonnais célèbres. Cet endroit est devenu forcément un lieu familier un peu solennel.
Ces visites sucitent toujours des questions dont une qu'on devrait tous aborber avec nos proches : "et toi où tu seras enterrée ?" et mes filles ne manquent pas de me la poser.
Je réponds invariablement que je leur laisse le choix de l'incinération ou de l'enterrement classique mais que je veux rejoindre mon père dans cette concession.
Ma mère a refait sa vie et je l'imagine plûtôt avec son compagnon actuel pour l'éternité plutôt qu'un retour à ses premières amours. Comme je m'imagine mourir avant mon mari, je lui souhaite de refaire sa vie. Aussi il risque de ne pas se faire enterrer avec moi. De toute façon, il aimerait rejoindre le caveau familial, à l'autre bout du monde.
Il ne restera plus qu'à ajouter un nom sur celui déjà inscrit sur la pierre tombale, le père et la fille.
Les gens pourront se dire en calculant l'âge des défunts, comme tout le monde aime à le faire dans ce genre d'endroit, que ces deux-là sont mort prématurément. J'espère que j'arriverais à faire mieux que lui, décédé à 55 ans. J'en ai 41, il me reste encore un sacré chemin pour le battre, déjà que j'explose les statistiques en terme de survie...