C’est d’une torture qu’il sera donc question durant deux heures. Une torture psychologique en forme de miroir que Haneke nous tend dès le début, lorsqu’il filme une salle se remplissant de spectateurs souriants prêts à assister à un concert qui les enchantera tandis qu’il nous prévient que nous autres allons subir tout autre chose et que cela nous plaira certainement moins qu’un concert de Schubert. Cette scène est d’ailleurs précédée par celle de l’intrusion brutale des Pompiers de Paris dans un appartement Haussmannien qui pue la mort. Et pour cause.
Tout au long de la séance, je suis frappée par la qualité du silence qui règne dans la salle. Tout le monde retient son souffle, s’empêche de toussoter et si quelques larmes coulent, cela se fera dans un égal silence, un silence emprunt de respect, plus facile à exprimer face à l’art que dans la vie.
Nous autres, spectateurs, acceptons le précepte d’assister à l’innommable car il est adoubé par une Palme d’or institutionnalisée. Notre société reste autiste au sujet de la fin de vie et de l’euthanasie, sujet dont s’était emparé le candidat Hollande mais que vraisemblablement le Président ne répondra maintenant que par le même silence hypocrite face aux autres questions qui nous intéressent, comme le droit de vote des étrangers aux élections locales ou le cumul des mandats…
Au cinéma, lorsque le sujet est brûlant et touche la société, il est difficile voire insurmontable d’en conserver autre chose, à l’issue du film qu’une réponse binaire rendant le spectateur assez con finalement, ancré à ses propres préjugés. C’est ce qui m’intriguait en allant voir ce film dont je connaissais à peu près tout déjà. Ne savait-on déjà que Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva et Isabelle Huppert étaient de grands comédiens ? Haneke déjà détenteur d’une première Palme d’or ?
Ce que je suis venue voir c’est un film de cinéma, pas une conférence sur la fin de vie. Je suis lâche à ce sujet, et les vieux me font chier. Je n’ai pas particulièrement envie de savoir comment on pose une couche-culotte à une vieille dame en fin de vie, de quelle façon on la nourrit ou analyse ses borborygmes…
A la sortie, comme toujours chez Haneke, le silence est de mise. Il me faut au moins une nuit de sommeil avant de tenter l’amorce d’une réflexion qui se résume en ce qui me concerne à ce que j’en conserve. Le pari est gagné. Il subsiste une musique et quelques tableaux meublant le vieil appartement. La voix d’Emmanuelle, la colère d’Isabelle et le mystère Trintignant. C’est déjà ça. Au dessus, néanmoins résiste le malaise renvoyant à la question. Est-il plus simple de récompenser un film que répondre par un décret ? Dédouaner toute une société vieillissante par un geste artistique, est-ce suffisant, est-ce nécessaire ? Je ne sais pas. Ce à quoi je pensais durant ces deux longues heures confinée dans cet appartement dont je percevais les vieilles odeurs, prenait la forme d’une supercherie à laquelle je prenais part. Puisque j’en avais pour mon compte de cauchemar, en étais-pour autant dédouanée ? N’avais-je pas moi aussi de l’amour à donner à une vieille personne parfaitement esseulée ? J’en parlerai à ma mère octogénaire, mais d’abord j’irai voir le nouveau James Bond…..