En parcourant les salles de l'Orangerie, qui présente une rétrospective du peintre d'origine russe Chaïm Soutine, on peut bien se poser la question du titre : où est l'ordre dont il est question ? En revanche, du chaos, on en trouvera partout dans la peinture de cet ami de Matisse et de Modigliani qui semble faire souffler la tempête et l'inquiétude dans ses paysages, la faim dans ses natures mortes et l'angoisse du vivant, et du survivant, dans ses fameux portraits de pâtissier ou de groom, au corps maigre et aux yeux dévorants et un peu hallucinés. Riche, avant-gardiste (sa peinture annonce l'expressionnisme et le pinceau d'un Francis Bacon), la vie de Soutine vaut bien ce salut posthume…
A gauche : Chaïm Soutine (1893-1943), Le Lapin, 1923-24 Paris, Musée de l’Orangerie, Huiel sur toile, 73 x 36 cm © ADAGP, Paris 2012 © RMN (Musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski - A droite : Jeune Anglaise, 1934 Huile sur toile, 46 x 55 cm, Paris, Musée de l’Orangerie © ADAGP, Paris 2012 © RMN (Musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski
Dans les toiles de Soutine, « la mesure et la démence luttent et s’équilibrent », disait son marchand, Paul Guillaume. Démonstration à l’Orangerie, à Paris.La peinture de Chaïm Soutine (1893-1943) n’a jamais été d’un abord facile. Pour certains elle paraît inquiétante, voire menaçante. Comme au catch ou à la boxe, qu’il affectionnait particulièrement, on dirait qu’il n’y a que des coups à prendre. Tout fout le camp, la vue se brouille, les gueules se déforment, la matière s’écrase. Il émane de ces toiles inclassables une telle force qu’on les dit compliquées à accrocher sur les murs des musées, ne cohabitant guère avec celles de ses contemporains.
L’homme était sans doute pareil. A part. Charismatique et secret. Le peu d’écrits qu’il a laissés entretient la légende de l’artiste maudit, Juif errant né en Biélorussie dans une famille miséreuse, débarqué à Paris en 1913, compagnon de dèche de Modigliani, qui accède à la reconnaissance et l’aisance en 1922 mais meurt malade et traqué durant l’Occupation. Dans un autoportrait des premières années, présenté en début de parcours, Soutine scrute sans concession son visage de « moujik aux lèvres épaisses », comme il dit, regard timide, oreilles décollées et costume du dimanche tout de guingois. Sûr de rien, sauf de son destin de peintre.
Tout le propos de l’exposition de l’Orangerie, qui réunit une soixantaine d’œuvres autour de sa propre collection unique en Europe (vingt-deux tableaux issus de la donation Paul Guillaume), repose sur ce ressort essentiel : une peinture au potentiel révolutionnaire qui préfigure l’abstraction de l’après-guerre mais s’ancre dans la grande tradition figurative de l’art classique, avec des références constantes à ses maîtres, Rembrandt, Chardin, Corot ou Courbet. Sa vie durant, Soutine expérimentera en solitaire des solutions radicalement nouvelles tout en restant fidèle à la trilogie picturale académique — paysages, natures mortes et portraits —, déclinée ici en trois parties où se répondent des chefs-d’œuvre venus du monde entier. Tel cet incroyable portrait de Madeleine Castaing (1929), qui réussit à exprimer délicatement et l’âme de la décoratrice et la noblesse d’un grand portrait royal sous des traits effroyablement concassés et des couleurs compactées. Ou cette Colline de Céret (1921), épaisse concrétion d’arbres, de tuiles, de maisons, de ciel et de montagne brassés par un pinceau qui semble au bord du gouffre. Les peintres de l’abstraction expressionniste américaine, De Kooning ou Pollock, se réclamaient héritiers en droite ligne de ce magma stupéfiant. Une peinture où « la mesure et la démence luttent et s’équilibrent », disait le marchand Paul Guillaume, comme pour un sport de combat où la règle est de ne perdre jamais pied.
Sophie Caron | 25 octobre 2012
http://sortir.telerama.fr/evenements/expos/chaim-...
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