On s'habitue à tout, même au pire. Les informations ne sont que des mots, des images, la Syrie devient cet endroit lointain où il se passe des choses que l'on compte, avec tous les conditionnels de rigueur. L'hiver est là, soudain, et un sdf meurt dans Paris, un titre de plus. On s'habitue à tout. Le vent souffle dans le sud, un navire se noie lentement sous les yeux des curieux, c'est un spectacle si rare. Mais deux étudiants se noient pour de vrai, eux, et on sait qu'une cellule psychologique sera mise en place, comme toujours pour le moindre drame. On s'habitue à tout. Un homme politique vient plaider pour un autre monde, il a du talent, de l'énergie, et peut-être qu'on l'écoute un petit peu plus que d'habitude, enfin pendant quelques minutes au moins, car même le registre de l'indignation a été digéré tranquillement par nos médias. Et on est habitué. Ce n'est pas de l'indifférence, c'est le résultat de l'échappée du réel sur ceux qui prétendent nous le mettre à portée. On s'habitue vraiment à tout. Sauf à soi.
Car soit demeure l'inconnu ultime. Celui qui nous anime n'est qu'un étranger, détestable et fuyant. On s'habitue à tout, il faut bien vivre. Mais pourquoi, au fait ? Si ce n'est par la volonté de ce soi dissimulé ?