C'est le matin. Vous vous extirpez du lit, la bouche pâteuse, les dents rugueuses. La veille, vous n'avez pas pris (eu) le temps de vous brosser les dents. Ça se sent, dans tous les sens du terme. Le plancher craque sous vos pieds. Vos pieds. Des plaques de vernis datant du mois d'août sur trois orteils, de la mousse de bas, des ongles beaucoup trop longs et même un peu crasseux: vos pieds sont carrément laids ce matin.
Soupir.
Je disais donc que le plancher craque sous vos pieds. La marmaille se réveille, évidemment. Vous vous dites que ce plancher-là ne craquait pas autant au début. Vous vous racontez des sornettes en vous disant que c'est l'usure. Non. Vous le savez très bien. C'est votre poids qui a augmenté avec les années et les grossesses. Assumez.
Soupir.
Au salon, ça s'active. On se souhaite bon matin. Bon matin l'amoureux, bon matin petite princesse, bon matin bébé bonheur, bon matin le bourrelet. Bah ouais. Il est là pour rester, aussi bien être polie et lui souhaiter bon matin. Mais bon, pas nécessaire de pousser les familiarités jusqu'à lui donner son câlin du matin, quand même. Une petite tape amicale dans le gras suffira.
Soupir.
Vous passez à la seconde étape: la douche. Hop, vous retirez la robe de chambre, hop, vous sautez dans la douche en évitant scrupuleusement le miroir. La dernière fois que vous vous êtes approchée de ce traître, toute vulnérable et de nudité vêtue, il vous a sauvagement attaqué avec des vergetures et vous a lancé trois tonnes de cellulite sur les cuisses.
Soupir.
Nous tairons ici les cheveux que vous perdez par poignée lors du shampooing, par respect pour toutes ces victimes de la maternité. Nous pouvons nous attarder quelques secondes sur votre splendide poitrine: les seins sont ronds et pleins puisque Bébé n'a pas bu depuis plusieurs heures. Profitez-en, le temps passe et Bébé finira par renier vos mamelons nourriciers, laissant vos seins dans un état aussi lamentable qu'un raisin sec.
Soupir.
Trousse de rescousse en main, vous appliquez un peu de cache-cerne pour camoufler les légères imperfections sous vos yeux. Que dis-je? Vous appliquez une généreuse couche de cache-cerne sur ce qui semble être des panneaux lumineux sous vos yeux indiquant votre état de fatigue. Un peu de mascara, peut-être même un trait de crayon ou du fard: tous les subterfuges sont bons pour que vous vous sentiez fraîche comme une rose. Pendant que vous appliquez le maquillage, les ongles sur vos doigts demandent l'asile politique. Vous les voyez dans le miroir, longs, réclamant le coupe-ongles comme négociateur, la poubelle comme pays d'accueil.
Soupir.
Vous vous êtes coiffées, puis avez déjeuné avec la marmaille. L'heure du départ approche, maintenant. Il faut rapidement habiller deux petites choses gigotantes chaudement, avant que l'une d'entre elles sente l'envie irrépressible de pleurer. Vous avez chaud. Le front en sueur, vous savez très bien que la frange aplatie avec soin il y a quelques minutes est en train de friser, la salope.
Soupir.
Les enfants habillés, vous enfilez rapidement votre manteau et y ajoutez le nouveau foulard acheté la veille. C'est à ce moment que le miracle se produit. Votre plus grande vous regarde, les yeux écarquillés et lance, le plus sincèrement du monde:
Wow maman! T'es belle!
Sourire.
À cet instant, vous savez que vous êtes la plus belle maman du monde.