On le sait, les références discographiques pour cet opéra des opéras ne manquent pas. Tout mélomane qui se respecte a sur ses rayons les coffrets Giulini (EMI), Solti (Decca) ou Abbado, chez le même éditeur. On en passe et des meilleurs...
La concurrence était rude, on l'imagine. En misant le tout sur l'homogénéité aussi bien dans la conception de l’œuvre que sur le choix des voix dont la jeunesse est une qualité première, non négligeable, le coffret qui vient de paraître est une splendide réussite. Ici, les récitatifs sont rendus dans leur essence dramatique même, dans une théâtralité proche de la vérité de la vie, avec un ton "comédie napolitaine" indéniable, comme pour mieux mettre en évidence la sombre gaieté de la musique, sa prédestination vers un dénouement comico-tragique. On devine les regards, les rapports physiques ou sociaux. Magie du théâtre enregistré...
Car ils sont réels ces personnages! En grand seigneur méchant homme Ildebrando d'Arcangelo, chanteur d'exception, domine la distribution, sans l'ombre d'un orgueil et nous gratifie d'une éblouissante leçon de chant en séducteur-jouisseur raffiné, au timbre de velours, pour se montrer tour à tour arrogant, vigoureux, d'une présence scénique presque trop autoritaire. Son Burlador est inattendu, comme imbu de lui-même, sans morale, d'un machisme italien réjouissant. L'air du champagne est ébouriffant, la scène finale décoiffante dans son insolence sans scrupule...
On devine chez Luca Pisaroni un artiste-acrobate plein d'esprit. Voilà un Leporello vrai "buffo" mais sans vulgarité, à la voix saine, arrogante, à la vis comica irrésistible, à la présence remarquable. Un homo vulgaris certes, mais de grande classe.
Au couple de paysans formé par Mojca Erdmann (Zelina sensuelle et déterminée) et Konstantin Wolff (en fin un Masetto volontaire!), charmant en diable, s'oppose un trio de nobliaux dont il serait difficile d'apporter un reproche sérieux.
On s'en doutait un peu. Diana Damrau surmonte avec brio les terribles difficultés de Donna Anna face à Joyce diDonato qui allie raffinement exquis du style et ce charme fragile, blessé, mélancolique, indicible d'une Elvira qui restera pour toujours cette "triste femme délaissée".
Belle réplique de Rolando Villazon en Ottavio. Ses deux airs, comme suspendus dans le temps, suaves sans mièvrerie, entre tendresse et déchirement, sont ceux d'un artiste retrouvé. Vitalij Kowaljow enfin chante un Commandeur à la noblesse impressionnante.
A la tête du Mahler Chamber Orchestra, Yannick Nézet-Séguin apporte cette juste mesure dans le rire, l'excès, le vertige et l'effroi. La couleur est ici presque romantique, sa direction élégante, subtile, les coloris très contrastés.
Les anciens resteront fidèles aux anciens. Il serait toutefois injuste de négliger ce nouveau Don Juan à la très belle mise en espace sonore.
3 cd’s DGG 4779878