« La décroissance présuppose une transformation de nos modes de production et de consommation, de notre appréhension du monde, de nos croyances. La décroissance va donc plus loin que la seule décroissance économique. Elle est aussi, et d'abord, un concept qui interroge l'idéologie d'un "monde sans limites". »
Vincent Cheynet est un des animateurs de La Décroissance, un mensuel que nous lisons régulièrement, malgré une mise en page qui laisse à désirer et un puissant sectarisme, ne serait-ce parce qu'au même titre que Fakir, Le Sarkophage ou Le Monde diplomatique, il donne un autre éclairage sur le monde par rapport à la presse dominante.
« Avant d'être un concept opératoire, sur lequel appuyer une politique, la décroissance vise d'abord une désaliénation, un déconditionnement, une désintoxication, un désencombrement. (...) Le mot décroissance cherche à enfoncer une porte de la citadelle de la pensée unique, à créer une faille dans l'enfermement psychologique de notre société. C'est seulement après l'ouverture de cette brèche qu'il sera possible de faire passer un discours nécessairement complexe et nuancé. Sinon, autant parler à un mur.»
Difficile de résumer ce bouquin. L'auteur pointe d'abord les tares du système capitalisme : les inégalités et l'exploitation sociales, l'aliénation qui réduit les citoyens en consommateurs déresponsabilisés, le productivisme qui gaspille les ressources naturelles comme si ces dernières étaient infinies, la foi aveugle en la science qui permet aux tenants du système de rejeter toute remise en cause du productivisme et des conséquences de la pollution, le démocratie rabougrie ou le consensus imposé par les chiens de garde du système qui n'admettent que la pensée unique et TINA.
Il dénonce aussi le capitalisme repeint en vert et certaines associations "écolos" qui font preuve de collaboration en décernant leur label contre rémunération à des entreprises, le greenwashing ou l'instrumentalisation de l'écologie par le capitalisme avec le concept bidon du développement durable :
« Elle permet d'évacuer les questions qui fâchent et de s'attirer les bonnes grâces des institutions comme du monde des multinationales. Elle permet surtout aux multinationales d'instrumentaliser le discours écologique pour évacuer son aspect politique et éviter une remise en cause du modèle productiviste. »
Dans la majeure partie du livre, l'auteur mène une opération de désenfumage tant les mensonges, les lieux communs, et les inepties qui se répandent dans les médias dominants ne permettent pas au grand public d'avoir une bonne vision de la Décroissance. Elle est généralement présentée comme une idéologie dangereuse et obscurantiste, ennemie du progrès social et des avancées de la science. Les objecteurs de croissance sont qualifiés de khmers verts ou de Ayatollahs verts qui au pouvoir feraient reculer la civilisation et provoqueraient la récession économique et la régression sociale.
Vincent Cheynet précise également que sa conception de la décroissance n'a rien de commun avec des courants qualifiés de décroissants, proches de certains milieux de l'extrême droite, qui se caractérisent par le malthusianisme, le darwinisme, le survivalisme, le catastrophisme ou le localisme.
Enfin, il apporte sa propre conception de la Décroissance. Il considère qu'elle n'a pas pour objet de sauver la planète et l'Humanité puisque ces dernières disparaitront inéluctablement un jour, soit lors de l'explosion du soleil ou avant, à tout moment, si l'Homme utilise le feu nucléaire.
Pour lui, la décroissance se définit comme un moyen de revitaliser la démocratie en apportant du dissensus, de remettre à l'ordre du jour le programme du conseil national de la Résistance, de lutter contre un système médiatique qui, via la pub, infantilise les citoyens en les réduisant à des drogués de la consommation, de partager le travail, de créer un salaire de vie sans contrepartie, de redistribuer équitablement les richesses sans attendre une hypothétique et destructrice croissance économique, de rompre avec la société de consommation et d'apporter du "bien vivre".
In fine, la décroissance est censée éviter que l'Humanité ne subisse à l'avenir des choix brutaux et autoritaires quand le système productiviste se retrouvera dans l'impasse, faute de ressources naturelles et de progrès scientifiques miraculeux.
D'ailleurs, à la fin du livre, l'auteur fait sienne cette citation d'André Gorz :
« La décroissance est donc un impératif de survie. Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d'autres rapports sociaux. En leur absence, l'effondrement ne pourrait être évité qu'à force de restrictions, rationnements, allocations autoritaires de ressources caractéristiques d'une économie de guerre. la sortie du capitalisme aura donc lieu d'une façon ou d'une autre, civilisée ou barbare. »
En extrapolant, l'alternative se pose de la façon suivante : la barbarie capitaliste ou la décroissance socialiste ? D'où notre opposition au projet d'aéroport de Notre Dame des Landes.
Bref, vous l'avez bien compris, nous vous conseillons Le choc de la décroissance.